L'intrigue se déroule dans les années 70. L'inspecteur principal Schneider vient d'être muté dans une petite ville de l'est de la France, au sein du “Bunker” dirigé par “Dieu”. Alors qu'il prend ses quartiers en tant que chef du Groupe criminel, un homme vient signaler la disparition de sa fille Betty, quinze ans. Devant la certitude de ce père qui pense que sa fille est morte, Schneider décide de prendre l'affaire en main.
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Contrairement à tous ces livres policiers qui suivent toujours le même schéma,
Hugues Pagan nous emmène plus loin dans son récit. L'enquête principale de ce roman n'en est pas forcément le coeur. Elle est une partie d'un tout, d'une histoire qui évoque plusieurs sujets, donnant à cette oeuvre une dimension plus sociétale, digne d'un roman noir. Un réalisme renforcé par le contexte historique de l'époque, avec la peur encore très présente du communisme et la guerre d'Algérie qui a laissé des séquelles irréversibles.
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J'ai beaucoup apprécié le personnage de Schneider, un type plutôt taiseux, à l'attitude très neutre, presque froide, qui attise la curiosité. Quelques pages suffisent pourtant à détecter la carapace, la sensibilité sous le masque de fer. Un flic comme je les aime, au passé chargé, aux convictions fortes, doté d'un sens moral à l'épreuve des balles. Un flic en qui on aimerait croire, ne serait-ce que pour redorer un peu l'image de la police, qui en aurait bien besoin parfois. J'ai apprécié sons sens de la justice, sa façon d'interroger les témoins, de voir les opprimés et les invisibles, d'accompagner les douleurs, sans paroles superflues ni hypocrisie. Chez lui, pas de réactions enflammées, mais un culte du détachement. “Poker face”, comme diraient les autres. Bien entendu, il y a quelquefois des signes annonciateurs de montée en pression, comme les doigts qui remuent doucement, la “crispation des omoplates, le léger tassement des épaules”, mais généralement étouffés dans l'oeuf grâce à des équipiers prévoyants.
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Un roman qui raconte aussi les coulisses de la police, les rivalités, les hiérarchies corrompues, les comportements déplacés mais aussi les braves gens, investis corps et âme dans leur mission. D'ailleurs, certains s'intéressent à ceux d'en bas, de la prostituée au sdf, allant même jusqu'à s'inquiéter si l'un d'eux vient à manquer à l'appel. Pour eux, ces laissés-pour-compte ont un (sur)nom, un visage, une personnalité. Forcément, cette humanité nous touche de plein fouet, on s'émeut de leur sort, ce ne sont pas de lointaines figures abstraites mais bien des protagonistes à part entière. le titre du roman prend alors tout son sens.
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Par ailleurs, j'ai été touchée par cette façon d'aborder “l'après”. Ici, l'histoire ne s'arrête pas à la résolution de l'enquête, il y a tout le reste, jusqu'à la victime qui reste en tête, la peine et la tristesse de la famille qui laissent leur empreinte. J'imagine que les enquêteurs ne peuvent pas toujours passer à autre chose si facilement. Il arrive que la photo reste épinglée sur le tableau d'affichage un peu plus longtemps, histoire de ne pas oublier.
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Et puis il y a le décor et l'ambiance. “Un commissariat-bunker qui ressemble à un tribunal de commerce délabré où échouent toutes les faillites de la société”, une atmosphère sombre, la fumée des cigarettes, les silences, la mélancolie, un piano qui joue un air de blues. Un roman dans un pur style polar noir, qui m'a définitivement conquise. Je m'attendais presque à entendre une voix-off, à l'instar de ces films de détectives des années 60.
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Avec
le carré des indigents, nous ne sommes pas dans un rythme haletant, dans une enquête sous tension menée tambour battant, pourtant, j'ai été captivée jusqu'à la dernière minute. Je n'avais aucune envie de terminer ma lecture. Je voulais rester dans cette ambiance, continuer à suivre ces flics dans le quotidien de leur profession, m'immerger encore dans les pensées de Schneider.
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J'ai frôlé le coup de coeur pour ce polar noir et profond, qui m'a totalement séduite. Cette incursion dans le style d'
Hugues Pagan a été une réussite, aussi j'ai désormais l'envie irrépressible de partir à l'assaut de toute sa bibliographie.
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Mon avis sur la version audio :
Dans la version Audiolib, le comédien
Cyril Romoli donne le ton. Alors que j'étais déjà tombée sous le charme de sa voix dans “Entre fauves” de Colin Neil, il m'a de nouveau subjuguée par son interprétation. Il excelle particulièrement dans le rôle de Schneider, révélant tout le charisme et la sincérité de ce personnage complexe. Son timbre se prête parfaitement à l'ambiance de ce polar noir. J'ai également été très sensible aux interludes musicaux entre les différents chapitres. Une version audio vraiment très réussie !
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Roman lu dans le cadre du Prix Audiolib 2023.
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Ma chronique complète est sur le blog.
Caroline - le murmure des âmes livres