S'agissant de la littérature provençale, je serais plutôt plus proche aujourd'hui de celle de
Jean Giono que de celle de
Marcel Pagnol. Les deux hommes, de la même génération, se sont d'ailleurs connus et n'étaient pas franchement des amis, même s'ils ont parfois collaboré sur certaines productions. Je ne sais pas trop ce qui les opposait. Selon
René Frégni avec lequel j'avais abordé ce sujet, il expliquait que cela tenait aux territoires respectifs qui rattachaient chacun des écrivains,
Marcel Pagnol plus au sud du côté d'Aubagne et de Marseille et
Jean Giono plus au nord du côté de Manosque, des terres peut-être plus hostiles que celles inondées par le soleil marseillais.
Et puis
Jean Giono écrit des histoires sombres dignes parfois de tragédies antiques,
Marcel Pagnol nous raconte ici des récits d'enfance heureuse, même si L'Eau des collines est aussi un conte tragique et très poignant, même si son écriture théâtrale qui l'a révélé va chercher aussi des personnages complexes, ambigus.
J'ai découvert La Gloire de mon père sur les bancs de l'école. Je l'ai relu tout récemment. J'y ai retrouvé la même saveur, avec peut-être quelque chose en plus, avec l'âge. Quand je l'ai lu pour la première fois, j'avais l'âge de Marcel dans le récit, ou pas loin. Maintenant, je suis même plus âgé que le père de Marcel. Terrible ? Mais non, j'ai l'impression encore d'être un gamin qui court dans les bois lorsque je lis ce genre de récit empli de respirations et d'odeurs.
La Gloire de mon père, pour moi c'est le sud éloigné, aux azimuts de chez moi, là-bas ce sud est une terre inconnue, différente de ma Bretagne, avec des odeurs et parfums différents, l'odeur du thym et de la sarriette, le bruit des cigales, des oliviers qui poussent partout, sans oublier le mistral et l'accent. Cela n'enlève rien à la beauté des parfums d'ici, la mer, les embruns, le large...
La Gloire de mon père, c'est l'enfance d'un petit garçon fier des aventures, - pour ne pas dire des épopées, cynégétiques de son père à la recherche éperdues des bartavelles. C'est une terre, Garlaban, une terre faite de collines, d'oiseaux, de ruisseaux perdus et de nostalgies.
La Gloire de mon père, ce sont les dictées à l'école primaire. C'est la craie blanche sur le tableau, qui laissait des traces sur nos doigts, c'est l'encre que l'instituteur versait dans ces petits encriers en porcelaine à gauche de nos bureaux en bois, on avait aussi des traces d'encre sur les doigts à la fin de la journée, c'est le jeudi qui se transforma en mercredi, je m'en souviens encore...
Et puis, La Gloire de mon père, ce sont des personnages attachants tels que Joseph le père fier et maladroit, Augustine la mère timide et touchante, l'oncle Jules qui en fait des tonnes. On a tout cela en général dans nos propres familles, n'est-ce pas... ?
La Gloire de mon père me rappelle le meilleur de mon enfance, les joies de courir dans la nature avec un père comme seul complice. Je me souviens comme cela d'anecdotes, mon père ne travaillait pas le lundi, pendant que j'étais à l'école il profitait de ce temps pour courir dans les bois, curieux de tout. Et le dimanche suivant il m'entraînait sur des lieux inédits découverts par ses pas, ses yeux, son regard, un château, une maison abandonnée au fond d'une vallée, un coin à châtaignes. À l'époque, déjà les associations de chasse libéraient quinze jours avant l'ouverture de la chasse des faisans qui ne savaient pas voler pour les offrir plus facilement aux fusils. Un oiseau qui a toujours été en captivité vole moins vite qu'un oiseau qui a toujours été libre. Les chasseurs préfèrent la première catégorie, ils ont ainsi l'impression d'être plus plus forts. Je préfère la pratique du père de Marcel qui chassait en dehors de ces règles stupides et pouvait ainsi exprimer avec maladresse tous ces talents de chasseur.
Mon père avait repéré cette pratique idiote qui perdure encore, m'avait invité alors à un sport que je n'oublierais jamais, courir après ces faisans qui ne couraient guère plus vite que nous, capturer des femelles qui nous composeraient un futur poulailler et nous fourniraient des oeufs pour le petit déjeuner. Merci les chasseurs que nous n'aimions pas mais si généreux par leur bêtise ! C'était si jubilatoire de leur faire un gros bras d'honneur de cette manière ! Mon père avait aussi réussi à capturer un mâle. Nous avions déjà dans le jardin une petite poule domestiquée qui se chargea de couver les oeufs fécondés car les faisanes en captivité ne s'occupent plus de la couvée. C'est beau l'adoption. Je n'avais pas compris, l'enfant naïf que j'étais, que derrière cette intention merveilleuse, il y avait aussi l'idée que les belles progénitures finissent dans nos assiettes. Aïe ! J'en ai pleuré, je me souviens de mon chagrin mêlé de colère, car je m'étais attaché à ces animaux, je les nourrissais le matin avant de partir à l'école. La gloire que j'éprouvais jusque-là pour mon père prit alors un sacré coup dans l'aile. La Gloire de mon père, c'est cela aussi. Je suis peut-être devenu végétarien en me souvenant de cette histoire d'enfance fondatrice pour moi.
Dans la Gloire de mon père, j'ai retrouvé cette part d'enfance que
Marcel Pagnol a su restituer avec mélancolie et poésie. La délicatesse de la narration peut nous ramener à des souvenirs beaux et peut-être touchants, voire déchirants.
Il y a dans ce texte la force d'un été dont la lumière peut éblouir à jamais la mémoire de l'enfant que je fus, cet enfant devenu adulte parfois malgré lui.