Parmi les trois romans de la rentrée littéraire chez L'Iconoclaste figure le premier roman de
Mathieu Palain.
Son titre,
Sale Gosse, comme le père de l'auteur, un mauvais élève notoire qui finira par atterrir à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) en tant qu'éducateur. de son enfance à Ris-Orangis et de sa passion pour le football, Mathieu en tire ce récit plus vrai que nature, fruit de son immersion journalistique au sein d'une équipe de la PJJ d'Auxerre durant six mois.
Ce qui aurait du être un article de plus finit donc en roman de plus de 300 pages où Mathieu mixe sa vie et celle de ceux qu'il a croisé, des jeunes racailles aux coeurs ravagés et des éducateurs de la rue aux corps épuisés.
A History of Violence
Sale Gosse n'est pas un grand roman littéraire dans le sens qu'on l'entend.
Non,
Sale Gosse, ce n'est pas
Cécile Coulon et ses phrases incroyables qui décrochent la mâchoire ou
Agustina Bazterrica et sa froideur clinique acérée qui fait mal.
Le style de
Mathieu Palain n'impressionne pas.
Et ça tombe plutôt bien parce qu'il n'est pas là pour ça.
L'histoire de
Sale Gosse, c'est celle de Wilfried, un jeune métis de seize ans placé en famille d'accueil dès l'âge de huit mois parce sa mère, Louise, était une toxico incapable de s'en occuper comme il faut.
Dans son quartier, Wilfried traîne avec Driss, une petite frappe locale qui deale dans son coin, et se marre avec Mustapha, son coiffeur-bledard qui lui raconte les emmerdes de la cité.
Son rêve à Wilfried ? Devenir un pro du foot comme plein de gars de son âge. Et il est doué, très doué. Mais il est impulsif aussi, très impulsif…trop impulsif. Après avoir démonté la mâchoire d'un joueur, le voilà débarqué du club.
Fini le rêve, la galère commence.
Lorsque sa mère refait surface après quinze ans, Wilfried pète les plombs et se fait la malle. Pourquoi irait-il vivre chez une étrangère après quinze piges ? Pourquoi ? Et forcément, Wilfried fait une connerie qui risque de lui coûter tout ce qu'il lui reste d'espoir(s).
C'est comme ça qu'il croise la route des éducs de la PJJ et notamment Nina, une fille qui n'a pas le bac mais qui sait qu'elle peut aider ces gosses parce qu'elle aussi, elle a galéré dans la vie. Alors, contre vents et marées, Nina tente de sauver Wilfried.
Non,
Sale Gosse, c'est pas un conte de fées, c'est même tout le contraire.
Dans son roman,
Mathieu Palain croise le destin de Wilfried et des délinquants qui l'entourent avec ceux des éducateurs et des surveillants de la PJJs. Il explique, dès le début, que ce ne sera pas une promenade de santé cette histoire mais bien une plongée dans la réalité des quartiers et de ceux qui n'ont aucune chance dès le départ…ou presque.
Sale Gosse, c'est l'histoire d'une reproduction, celle d'une pauvreté et d'une sauvagerie qui se pérennisent à l'ombre des cités.
Sale Gosse, c'est l'histoire de la violence et de ceux qui sont mal nés.
La Tête Haute
Pourtant, comme dans le film d'Emmanuelle Bercot ou dans Mommy de Xavier Dolan, Wilfried n'est pas un mauvais bougre.
Évidemment, sa violence et ce qu'elle engendre ne s'excusent pas.
Mais elle s'explique.
Mathieu Palain, au lieu de juger ces jeunes qualifiés de délinquants dès la première bagarre dans la cour de récré, tente de les comprendre, d'expliquer d'où ils viennent pour savoir comment ils en sont arrivés là.
Le roman se retrouve ainsi parsemé d'histoires terribles, de l'enfant du placard à celle de Viviane en passant par Wilfried lui-même. Ces gosses incontrôlables qui embarrassent tant notre société ne sont en fait que le reflet de ladite société dans laquelle ils vivent, victime comme aucun autre de la drogue, des coups et du manque.
Pour Wilfried et les autres, le manque, c'est celui d'une éducation, et qui dit éducation dit parents. Tous les jeunes que l'on croise dans
Sale Gosse ne sont que ça en somme, des enfants qu'on a privé de mère ou de père, voire les deux. Sans repère, toujours dans le doute affectif engendré par le ballottage de famille d'accueil en famille d'accueil, que reste-t-il de ces gamins ?
Ajoutez à cela la nécessité d'être un dur pour survivre dans un monde de durs, et vous obtenez de vraies bombes à retardement pour lesquels l'intégration dans une société normale devient quasi-impossible.
Ce qui importe à
Mathieu Palain pourtant, c'est l'envie de leur laisser une certaine dignité, de faire de ces boules de nerfs des êtres humains capables de vous faire rire et de vous émouvoir, profondément.
Mathieu Palain garde la tête haute, et Wilfried aussi, malgré tout.
Roman-vérité
Comme il existe un cinéma-vérité,
Mathieu Palain mise tout sur le réalisme et la sincérité de son roman, palliant de fait à la faiblesse stylistique qui, pourtant, réjouit dès que les dialogues de la cité surgissent.
L'immense force de
Sale Gosse, c'est ça, cette vérité qu'il délivre, cette photo quasi-exacte de la réalité qui fait un peu saigner le coeur du lecteur.
Saigner parce que, comme dans Polisse, son modèle cinématographique avoué, on prend les coups avec Wilfried et Nina, on espère une happy end mais on sait qu'elle ne sera jamais aussi happy qu'on le voudrait.
Que faire de ces jeunes ? Comment briser le cercle vicieux de l'échec ?
C'est certainement LA grande question de
Sale Gosse.
Mathieu Palain y répond par le football, en un sens, par une envie de la jouer collectif et de se dépasser, de donner aux gamins quelque chose sur quoi rêver qui ne demande pas un BAC ou un Brevet qu'ils n'auront de toute façon pas.
Mais la vraie réponse se trouve derrière, dans l'humain. La prison n'est certainement pas la solution. Au mieux, elle n'est qu'une solution imparfaite dans un monde imparfait. La vraie réponse donc, c'est l'affection, l'amour même entre Nina et Wilfried, qui ne cède pas, qui ne juge pas. C'est certainement de cracher au visage d'un système judiciaire qui ne comprend pas qu'un enfant a besoin de stabilité et non d'une mère biologique à tout pris. L'enfant a besoin d'une famille, une vraie, biologique ou non,. Une famille qui existe. En attendant ce monde idéal,
Sale Gosse n'oublie pas les coeurs cassés des gars et des meufs de la PJJ, de tous ceux qui tentent d'écoper alors que le monde continue de couler autour d'eux. Rien que pour ça, le roman de
Mathieu Palain importe, rien que pour ceux qu'on n'entend pas assez à la télé et à l'Assemblée.
Roman d'investigation,
Sale Gosse n'est pas tendre avec son lecteur mais c'est aussi pour comprendre que le monde n'est pas tendre non plus avec Wilfried et les autres. Bouleversant de réalisme et porté par deux personnages poignants, le premier roman de
Mathieu Palain surprend et émeut sans jamais renier là d'où il vient.
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