Dans ce livre, acheté il y a quelques années à un bouquiniste de rue du quartier universitaire de Téhéran, j'espérais trouver quelques récits d'Amazones, quelques contes tirés de l'épopée narte, quelques légendes mythologiques caucasiennes antiques. Or, si le matériau de ces légendes, fables et paraboles est sans doute issu d'une tradition orale, hormis certaines histoires qui font référence explicitement à Ferdowsi (Xe s.), sa source est certainement moderne ou pré-moderne, et sa rédaction est l'oeuvre personnelle et originale d'un écrivain marqué par le romantisme du XIXe siècle européen autant que par la tradition de la nouvelle persane. Je parlerai donc de nouvelles, dont les plus réussies m'ont fait penser vaguement mais certainement à (une source commune que j'ignore, avec)
Sadegh Hedayat, né environ 40 ans après Papazian. Je pense en particulier à « Chants rebelles », à « Nirvana », à « Le gros cadenas ».
Les thèmes de ces nouvelles sont très divers, et même les rares références chrétiennes et musulmanes chiites ne me permettent pas de supposer que l'auteur ait souhaité distinguer les contes arméniens des contes iraniens : au contraire, ils me semblent tous réunis par la qualité d'être allégoriques. Parfois, la forme et la structure de la fable sont adoptées – adresse au lecteur, animaux et objets parlant et conscients, protagoniste soumis à des défis en vue d'une récompense prodigieuse, etc. -, parfois la prose est poétique comme dans une ballade (ex. « Chants rebelles », « Le chant du sein de pierre »). Souvent une forte critique sociale est développée, notamment à l'encontre de la tyrannie du pouvoir et de la richesse, de la servitude volontaire du peuple (et des animaux domestiques qui le représentent), de la vanité des puissants, et par contre sont louées les valeurs du courage et de l'héroïsme guerrier, de la détermination, de l'élévation vers les cimes (symbolisée par l'aigle et par l'arbre foudroyé), de la recherche de la justice jusques et y compris par la rébellion. de façon plus inattendue, deux nouvelles ont pour héros le personnage du derviche opiomane : il me semble réducteur de n'y voir qu'un tribut au « fatalisme oriental » ; c'est plutôt une description de la dépression à travers l'introspection d'un personnage emblématique, comme nous en retrouverons plus tard chez
Hedayat.