Pauvre Poldanski, se murmure-t-il, toujours à anticiper plus qu’à préparer. C’est ça, depuis toujours il rafistole, il calfeutre, trimbalant un petit je-m’en-foutisme angoissé, en grignotant des petits plaisirs médiocres de-ci de-là en se disant que c’est toujours ça de pris. Toujours à prévoir afin d’éviter les trop gros enquiquinements, toujours à miser sur le moins pire plutôt que de construire vraiment et de se donner des chances de vivre intensément. Aucune défaite ni aucun traumatisme dans l’existence, oh ça non, mais un léger goût de chiotte à tout ce qu’il a touché : son couple, l’éducation de ses enfants, son métier, la vie de son bas-ventre…
Il l’imagine au bout du fil, sa grosse patte de travailleur serrant le combiné, prolongée par un avant-bras épais et velu, faussement indolent, yeux mi-clos, le soupçonnant évidemment de vouloir niquer sa femme. Con et lucide, le José. Un soumis de la société qui maintient jalousement ce qu’il possède, ses objets, sa femme. Ce n’est pas avec des prolétaires de cette trempe qu’on va renverser le système, fustige Poldanski.
– Oh, commissaire, vous n’êtes pas patriote ? L’intégration des citoyens, l’esprit de corps, le ciment de la nation et tout ça, c’est pas du cake quand même.
– Le service militaire, facteur d’intégration ? On en sort plus soulagé que français. Je pourrais te causer longuement de l’Algérie, tu sais…
On place le cercueil dans le trou. J’veux qu’on rit, j’veux qu’on chante quand c’est qu’on m’mettra dans l’trou. Tu parles, mon Grand Jacques. Pas de joie, peut-être pas même d’humanité. De la viande froide en boîte rejoint la terre. C’est tout. Pas d’âme, pas de vent spirituel. Rien que de la matière. Des particules. De l’atome. C’est vertigineux et c’est accablant. Que c’est vide tout ce plein.
Film de Cédric Daly (2021). Voix-off : Christophe Ravet. Texte de David Pascaud. D'après le polar L'affaire DeMerks (Jerkbook Editions).