Pardonner demande une grande force. Et c'est la meilleure façon d'être libre.
Je suis trente centimètres plus bas, le derrière coincé dans les lattes brisées de mon sommier. Isidore est assis sur moi avec un objectif : pratiquer un gommage du visage à l’aide de sa langue au parfum de boulette de viande digérée. Je ne peux même pas me débattre : je suis pliée en deux, coincée, tranche de dinde dans mon matelas-sandwich, et Jamal se cogne les cuisses à force de rire.
"Je vous laisse imaginer le réveillon.
Les silences gênés, les yeux rougis de ma mère qui ne fait aucun effort, les œillades inquiètes de mamie Zazou, mon père qui me demande le sel d'une voix de cadavre.
Et cette peste de Charlotte qui balance ses épinards sur Isidore.
Je me lève, l'assiette à la main, contourne la table et flanque une taloche sur sa joue rebondie de bébé tout-puissant.
Mon oncle, mari de Janyce-avec-un-y, m'interpelle comme s'il était la statue du commandeur dans Don Giovanni.
Genre il m'effraie.
Je me baisse et offre mon foies-gras à Isidore, me redresse, exhibe un majeur bien dégagé, un majeur qui ne laisse aucun doute quant à mon message, et je monte me coucher."
Zoé
Il faut que je l'accepte.
Dans ma vie, rien ne sera jamais parfait.
Je pleure.
Je respire mieux.
Je dors.
Je rachète un os à Isidore.
Je refais des crêpes.
Conjurer le sort.
Avancer.
Vivre.
Auriane (2nde7)
Mon soleil,
Les gens d'ici sont tristes.
Je ne veux pas être comme eux.
Je veux aimer vivre.
Je t'aime,
Maman
Auriane (2nde 7)
Le monde est flou. Soudain, je suis certaine que c'est la raison pour laquelle on pleure : s'extraire du monde qui nous fait souffrir. Les larmes brouillent les visages, les gens, elles protègent des méchants et de la réalité.
Cette expression, inventée par la mère de ma mère, désigne le fait de rassembler les matelas de toute la famille et de dormir ensemble dans une pièce. Quand j'étais petite, faire bidonville avec mes parents constituait la plus pure définition du bonheur.
Isidore gratte à la porte de ma chambre, si fort que Jamal se lève pour lui ouvrir. Je cherche un mouchoir pour me moucher. Le chien de la honte déboule, se dandinant au rythme de son plumet miteux, me lance une oeillade attendrie, et s'élance sur mon lit d'un bon au ralenti.
Son ventre distendu a le temps de balloter dans les airs, ses oreilles au vent.
Il atterrit, un CRAC gigantesque retentit, et je suis aussitôt happée vers le centre de la Terre.
- AAAAAAHHHHHH !
Ma mère se rue dans ma chambre.
Je suis trente centimètres plus bas, le derrière coincé dans les lattes brisées de mon sommier. Isidore est assis sur moi avec un objectif : pratiquer un gommage du visage à l'aide de sa langue au parfum de boulette de viande digérée. Je ne peux même pas me débattre : je suis pliée en deux, coincées, tranche de dinde dans mon matelas-sandwich, et Jamal se cogne les cuisses à force de rire.
- IL A CASSÉ MON LIT ! CE GROS PLEIN DE SOUPE A CASSÉ MON LIT ! je brame, incapable de décider si je dois rire ou pleurer. LE THÉORÈME DE LA SCOUMOUNE M'EN VEUT PERSONNELLEMENT !
Je serre les poings pour beugler plus fort mais je suis immobilisée.
- Le théorème de quoi ?!
Jamal redouble de rire et ma mère pince les lèvres pour ne pas l'imiter."