Révélation brutale

Olivier jura et se tourna vers la forêt qui s’était refermée derrière lui. Il pensa encore une fois au petit sac de toile dans le coin de la cabane dont s’était servi l’Ermite pour le tourmenter, pour exciter sa convoitise. Cette chose qu’il lui avait promise. Cette chose que cachait un homme qui se cachait.

— Quand l’armée aura trouvé ce qu’elle cherche, elle s’arrêtera et s’écartera. Alors le pire se produira.
Le silence se fit encore une fois. Et dans ce silence se trouvait le pire qui pouvait se produire.
Dehors, des coyotes hurlaient. Ils avaient encerclé une proie.

Olivier luttait de toutes ses forces pour ne pas détacher ses yeux du visage taillé au couteau. Il se retenait de regarder le coin dans la pénombre où, le savaient les deux hommes, se trouvait l’objet dans son misérable petit sac de toile. L’Ermite semblait lire dans ses pensées et Olivier remarqua sur ses lèvres un sourire mauvais, aussitôt disparu.

L’Ermite hocha la tête, la mine sombre. Il semblait voir le carnage et la destruction, les hommes, les femmes et les enfants fuyant devant la force impitoyable, inhumaine.
— Mais quelle était cette chose ? Qu’est-ce qui pouvait avoir tant d’importance pour justifier un tel massacre ?

— Où en étais-je ? Ah oui, je me rappelle maintenant.
Olivier resserra ses doigts autour de la tasse.
— La force terrifiante a tout détruit sur son passage : le Vieux Monde, le Nouveau Monde. Anéantis. Il ne reste plus rien, sauf…
— Sauf ?
— Un village minuscule. Caché dans une vallée. La sinistre armée ne l’a pas encore vu, mais ce n’est qu’une question de temps. Lorsqu’elle le découvrira, son redoutable chef prendra la tête des troupes. Il est gigantesque, plus grand que n’importe quel arbre, et son armure est faite de pierres, de coquillages épineux et d’os.
— Le Chaos.

— Ce ne sera plus très long, maintenant.
Les yeux de l’Ermite étincelaient comme du métal au point de fusion. Il était penché vers l’avant, selon son habitude lorsque cette histoire était racontée.

Olivier Brûlé baissa les yeux, incapable de soutenir le regard tourmenté et dément de l’homme en face de lui. Il avait vécu avec cette histoire pendant si longtemps, en se répétant sans cesse qu’elle n’était pas vraie. C’était une légende qu’on racontait et embellissait encore et encore autour de feux de cheminée comme le leur.
C’était une histoire, rien de plus. Il n’y avait pas de mal à ça.

— Tous ? Même les enfants ?
Le feu dans l’âtre crachotait et crépitait.
— Massacrés ? demanda l’homme dans un souffle aussitôt aspiré par la cheminée.
— Pire.
Dans le silence qui suivit se trouvait tout ce qui était pire que le massacre.

C’était la première leçon qu’elle avait apprise de l’inspecteur-chef et la première qu’elle enseignait à son tour à son propre protégé. Pour démasquer un assassin, il fallait suivre des indices, c’est vrai. Mais également des émotions. Celles qui étaient putrides, répugnantes, immondes. Il fallait suivre les traces visqueuses jusqu’à ce qu’on trouve, acculée au mur, la personne pourchassée. Il y avait leçons, beaucoup d’autres. Et elle les lui enseignerai également. p.104

Écouter, juger les autres en les comparant à soi constitue une grosse erreur. Une des premières leçons qu’on apprend en travaillant avec l’inspecteur-chef Gamache, c’est que les réactions des autres diffèrent des nôtres. Et celles d’un meurtrier encore davantage. Cette affaire n’a pas débuté avec le coup à la tête. Elle a commencé bien des années auparavant, avec un autre genre de blessure. Quelque chose est arrivé à notre tueur, qui peut nous paraître insignifiant, anodin, mais dont les effets sur lui ont été dévastateurs. Un évènement s’est produit, ou il a subi une rebuffade, ou il s’est disputé avec quelqu’un. La plupart des gens en feraient peu de cas. Mais pas les tueurs. Ils ruminent leur rancoeur, ils accumulent les ressentiments, qui, avec le temps, prennent de l’ampleur. Ce sont des émotions qui sont à la source d’un meurtre. Des émotions devenues repoussantes, incontrôlables. N’oublie pas ça. Et ne crois jamais que tu sais ce que quelqu’un pense, et encore moins ressent. p.104