Le roman d'
Anne Percin, dont je connaissais déjà la trame, est pourtant parvenu à me bouleverser, sans doute parce qu'il aborde des thèmes qui me touchent beaucoup. le choix de la narration à la première personne donne au lecteur le statut de confident ainsi que la place que la soeur de Catherine ne tiendra jamais. Une porte s'ouvre sur l'intimité de la narratrice que l'on a réellement du mal à refermer tant son aventure est bouleversante et éveille en nous des émotions, des expériences, des moments auxquels chacun a pu être confrontés à un moment ou à un autre.
J'ai apprécié le fait que les jeunes femmes ne soient pas ici exposées en victimes ; elles sont actrices de leur destinée, confrontées à leurs choix, à leurs erreurs, et l'héroïne n'a d'ailleurs pas le beau rôle.
Catherine est à un âge où l'on découvre l'amour, le désir. Elle observe sa soeur agir et la croit moins prudente qu'elle ne l'est en réalité. Ce qu'elle va trouver pendant les vacances n'est pas l'amour mais le désir pour le corps d'un jeune homme qu'elle découvre d'abord dans sa nudité. Elle l'idéalise et le place au-dessus de tous pour sa beauté, sa force, sa musculature et s'étonne que les autres ne s'émerveillent pas face à une telle splendeur.
Les autres ne s'aperçoivent pas de ces qualités, car ils n'ont retenu que les défauts que véhiculent les on-dit, les cancans. L'opinion de chacun est faite à son sujet. On lui a attribué des étiquettes, des vices sans doute injustifiés.
Catherine est elle-même désireuse de se plier aux exigences du groupe qui la paralyse par sa violence verbale et gestuelle ; elle en vient à adopter la voix et le vocabulaire des autres jeunes à l'égard du jeune homme qu'elle rejette désormais alors qu'au départ elle ne croyait pas possible qu'un si bel homme puisse s'intéresser a elle.
Le Premier été est pour moi un ouvrage contre les phénomènes de groupe, mais aussi contre la bêtise et l'aveuglement qui pousse à enfermer les gens dans des carcans, à adopter une vue étroite sur chacun. Et l'on s'aperçoit, dès lors qu'une étiquette a été apposée sur quelqu'un, à quel point il est difficile de la retirer.
Catherine a été séduite par un jeune homme dont le corps est habitué à passer des heures dans la nature. Il est d'ailleurs souvent rapproché de l'animal par l'auteur ; il en a le comportement, la gentillesse, la douceur. Il va s'attacher à Catherine comme le ferait un animal. le père du jeune homme, en raison de la manière dont il défend sa maison, peut être lui aussi rapproché des chiens qui en gardent l'entrée. Catherine est au contraire du côté des livres dans lesquels elle cherche la vérité et un sens à la vie. le Grand Meaulnes l'accompagnera d'ailleurs jusqu'à la fin de son aventure. Alors qu'elle ne comprenait pas la portée de cet ouvrage qui l'ennuyait au début du roman, elle va en saisir le sens grâce à ce jeune homme dont la vérité est ailleurs, dans un comportement qui n'est pas intellectuel. Il est dans le langage de la sensualité et du coeur. Il se dégage de lui quelque chose du bon sauvage de Rousseau.
Il est en même temps une sorte de chevalier servant qui franchit les épreuves pour conquérir le coeur de sa belle. Il brave les propos humiliants des autres, réussit des épreuves sportives. Lui qui ne connait rien aux livres a un comportement chevaleresque. Mais l'un des jeux, celui de la « limace » par son nom même l'animalise encore et donne à l'acte accompli quelque chose de dérisoire. Ce jeu sera encore évoqué lors de l'accident à la fin du livre, mais en un instant aussi dramatique, ce terme semble choquant ; il renvoie aux jeux d'enfants comme pour souligner que même les actes les plus puérils peuvent avoir des conséquences dramatiques pour autrui.
Dans ce roman sur l'adolescence et les premières confrontations à la vie, à l'autre et à la sexualité, Catherine découvre la vie dans toute sa cruauté, sans doute par manque de réflexion et de connaissances. Elle se présente parfois comme un jeu sans de trop grandes conséquences pour Angélique, la soeur de Catherine, qui se contente de flirter avec les garçons. Mais le drame va s'enclencher pour Catherine à partir du moment où elle va sauter le pas sans se soucier des conséquences.
Antoine et le jeune homme me semblent être deux images parallèles. Tous deux ont été repoussés, Antoine par Angélique, le jeune homme par Catherine. Mais tous deux le vivent différemment : Antoine est doté de la culture et de la civilisation où la valeur des sentiments semble avoir perdu tout sens ; il s'en remet en tentant sa chance avec une autre. Au contraire, le jeune homme n'a pas de garde-fou ; il s'est attaché et ne sait pas faire autrement que de suivre Catherine alors même qu'elle le rejette.
C'est d'ailleurs Antoine qui, à la fin du roman, va rejeter toute moquerie à l'égard du jeune homme et permettre au lecteur de savoir qu'il s'appelait Sébastien. C'est lui qui lui permet d'accéder au statut de personne alors qu'auparavant il n'était qu'un corps ou un « gogol ».
Ce roman court est pourtant très riche par la quantité d'images et de réflexions auxquelles il donne naissance. Ouvrage sur la différence, il prend tout son sens auprès de ceux qui ont connu le rejet, pour l'avoir infligé ou subi.