Deux hommes de bien

Ce ne sont pas les tyrans qui font les esclaves,
ce sont les esclaves qui font les tyrans.

- Oui je le dis : dangereuses et absurdes. L'homme issue des poissons, les montagnes de la mer ... Quelle idiotie !
- L'idiotie c'est de se prononcer sur ce qu'on ignore.

Aux peuples récemment découverts on devrait envoyer, avant le missionnaire un géomètre. Quelqu'un qui pour commencer les convertirait aux principes fondamentaux. De sorte à leur apprendre d'abord à combiner les mesures et ensuite les idées. C'est à la physique et à l'expérience, à la preuve et à l'erreur que l'homme libre doit rendre un culte.

- En tout cas, dit l'Amiral, objectif, on peut remercier les Français d'être aussi prompts à ferrailler. Grâce a_ duel, ou à l'éventualité de devoir se battre, règne en France une grande courtoisie. Peut-être la grossièreté espagnole est-elle due à l'impunité.

- Le duel répugne à la raison. Il n'y a aucune vertu dans cette stupidité, sacredieu ! dit don Hermongenes. Le siècle des Lumières ne peut que désapprouver cette façon de régler les différends, ne pensez-vous ? C'est une folie cruelle de croire que le mérite d'un homme peut consister à tuer son semblable ou à être expédié dans l'autre monde par le caprice du premier godelureau venu ou d'un ferrailleur poudré... Il est absurde de donner à quelqu'un qui a commis une petite faute l'occasion d'en commettre une bien plus grande.

- Bien que catholique sincère, vous êtes un homme éclairé. Mais peu d'hommes sont sincères, et tous ne sont pas éclairés. Songez au médicastre qui a voulu vous ouvrir une veine tout à l'heure, et ce que cela implique de retard et d'ignorance camouflés sous une science qui n'en est pas une.

- Et que lui avez-vous répondu ?
- Non, ça ne marche pas comme ça, monsieur. Je n'ai encore rien répondu, parce que chaque réponse est à deux voix. Nous partageons les responsabilités morales, matière avec laquelle vous avez beaucoup à faire.

C'est maintenant Higueruela qui salue servilement deux promeneuses - ce sont les épouses de deux hauts fonctionnaires du ministère des Affaires ecclésiastiques et de la Justice -, têtes couvertes de mantilles noires, en tenue de sainte Rita, dont l'austérité est compensée par des crucifix d'or, des scapulaires d'argent pendus à leur cou, des camés à l'effigie de l'Immaculée Conception et des bracelets d'émeraudes sur lesquels brimbalent de petites médailles religieuses.

Une discussion animée s'ensuit, de nouveau sur les hommes, les femmes et les chastetés suspectes. Et c'est madame Dancenis qui, avant de se lever de table, résume avec la plus grande franchise sont de vue sur l'affaire.
- Dans le fond, dit-elle, une femme du monde aime savoir qu'il y a des hommes supérieurs, plus audacieux et plus élégants que d'autres, qui ne déçoivent pas sa vanité, ne sont pas arrêtés par sa prétendue vertu et qui prennent l'initiative en recourant même à la violence adéquate, qui sert d'excuse à la femme... Suis-je claire ?

- Je n'ai aucune trêve à respecter avec vous.
- Donnez-lui le nom qui vous plaira : accord tactique, communauté d'intérêt, plaisir d'asticoter... Le fait est que nous avons une petite affaire en commun. Ce qui, que vous le vouliez ou pas, crée des liens. Une exquise complicité.