Deux hommes de bien

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C'est un jour de fête religieuse en Espagne, et don Hermogenes vient d'assister à la messe à Notre-Dame.
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L'édifice est magnifique, mais j'ai été déçu par le manque de vitraux. J'avais lu qu'ils donnent à la cathédrale une lumière mystérieuse, quasi magique.
- Ils étaient bien ainsi, confirme Bringas. Mais il y a pas si longtemps ils ont été remplacé par du verre blanc.
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- Mais reconnaissez-le mon brave, c'est un chef d’œuvre de l'architecture.
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- Savez-vous combien d'ouvriers sont tombés des échafaudages pendant qu'on élevait ce monument à la superstition et à la bouffissure ? Des centaines, peut-être des milliers. Imaginez-vous le nombre d'affamés que l'on aurait pu secourir avec ce qu'à coûté cette aberration de pierre ?
- Une aberration irremplaçable, en tout cas, s'insurge don Hermogenes.

- Saviez-vous qu'elle la différence ? poursuit Bringas, soucieux de son seul discours. En Espagne, les livres sont considérés comme subversifs et dangereux. Un luxe dont on peut se passer, ou un privilège réservé à une élite.
- Et ici, comme un commerce, intervient l'Amiral.
- Lucratif, de surcroit. Et pour tout le monde. Il donne du travail à l'auteur, à l'imprimeur, en passant par le compositeur et le distributeur, qui paient des impôts. C'est une activité qui rapporte et crée de la richesse.

- J'apprécierais bien davantage que la religion et la politique se lâchent la main et ne se la donnent jamais plus, objecte-t-il. Réformer en se fondant sur des lois au relent ecclésiastique, c'est prendre le mauvais chemin.

- En cela, vous avez raison, bien sûr. J'approuve et signe. Un peuple digne n'attend pas de son gouvernement qu'il l'amuse, mais plutôt qu'il le laisse s'amuser.

L'Amiral a un sourire chaleureux, qui chasse toute causticité. Il dit seulement, au bout d'un moment, que l’Église n'est pas l'unique responsable - elle ne fait que fournir un instrument coercitif de plus au système pervers qui gouverne certains peuples -, et qu'il ne s'agit pas de déterminer si la monarchie est ou n'est pas néfaste, puisque les Anglais sont là pour témoigner que tout peut être compatible, mais de savoir comment l'Espagne conçoit la paix publique.

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Une Espagne où l'on dépend encore le plus souvent des vents pour vanner le blé, en ignorant l'existence de la batteuse inventée par Reiselius, que d'autres pays utilisent le plus normalement du monde.
- Et dont certains de nos ecclésiastiques condamnent l'usage par écrit, souligne don Pedro Zarate.
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- Pour quelle raison demande ? demande le jeune Quiroga, surpris.
- Parce que, en ôtant la dépendance de la providence, celle d'un vent favorable, elle devient impie.

- La seule chose qui se manifeste, c'est le bon sens, don Hermès. Quand sur un navire il faut prendre la hauteur du soleil avec un octant et que le ciel est couvert, il ne se sert à rien de dire un Notre Père... Ce qui au milieu de l'océan vous tire d'affaire, ce sont les cartes marines, les routes au compas et l'astronomie, pas les prières.

- L'orgueil, don Hermès, quand un peu d'intelligence l'assaisonne, peut être une vertu aussi utile qu'une autre.

- Je résumerai en disant que si Dieu est une erreur, il ne peut être utile au genre humain, et que s'il existait, il devrait en donner des preuves physiques suffisamment patentes.
- L'idée de Dieu peut être utile, quoi qu'il en soit, insiste le bibliothécaire. Reconnaissez-le.
- Même s'il en était ainsi, mon cher ami, l'utilité d'une opinion n'en fait pas pour autant une vérité.

- Il ne s'agit pas de ça, murmure don Pedro, comme s'il parlait pour lui seul.
- Non ?
- ou pas seulement.
Don Hermonegenes le regarde, peiné. ils ne peuvent presque plus voir leurs traits quand il s'éloignent d'un réverbère, et l'ombre semble revêtir la svelte et haute silhouette de l'Amiral d'une singulière solitude.