"La nature a, peut-être, ses raisons de faire des coeurs impitoyables."
(
W. Shakespeare)
Mon premier roman de Perutz. D'après un tas d'avis divers, ce n'est peut-être pas le meilleur, mais pour l'instant il m'est impossible de comparer. Et j'ai plutôt apprécié ses prétendues "faiblesses". L'intrigue pleine de quiproquos et de retournements "digne des comédies italiennes" ne m'a pas gênée, bien au contraire - j'ai toujours aimé ces histoires un peu tordues, où rien n'est comme il semble au premier abord. Un peu comme chez
Shakespeare... Et les dialogues hauts en couleur (qui m'on fait parfois penser aux "Trois mousquetaires") vont bien avec tout ça.
Perutz a l'humour subtil et le détail riche dans cette histoire apocryphe sur
le Judas de Léonard.
Dans un contexte bien précis - Milan de la Renaissance - deux histoires sont imbriquées ensemble avec finesse...
Seul le respect que les Milanais ressentent envers Maître Léonard empêche les prélats de la Santa Maria delle Grazie de montrer ouvertement leur mécontentement. La Cène du réfectoire n'est toujours pas finie, car le Maître ne trouve pas le modèle idéal pour incarner le personnage de Judas. Léonard est un perfectionniste. Il s'interroge sur les motivations de l'apôtre maudit, et il est à la recherche d'un homme qui lui permettra de montrer l'âme même de Judas dans un seul geste, une seule expression figée pour toujours sur le mur de couvent des dominicains. Et puis, il n'a pas que ça à faire... les machines de guerre prodigieuses, les statues équestres géantes... sans oublier les observations des oiseaux pour avancer dans sa quête de toujours - l'appareil volant.
Chez le duc Ludovic Sforza, Léonard fait connaissance de Joachim Behaim, un riche négociant de Bohême. Un homme irréprochable de belle prestance, Behaim vient à Milan pour affaires, mais aussi pour récupérer une vieille dette familiale auprès d'un certain Boccetta. Une chose impossible, selon les Milanais !
Ce Boccetta, usurier pingre et misanthrope, qui a des excuses toutes prêtes pour éviter la moindre hospitalité ou lâcher le moindre obole - ne serait-il par hasard un modèle rêvé pour Judas ?
Perutz devient machiavélique...
Tout en réfléchissant comment récupérer sa dette, Behaim tombe amoureux de Niccola, une belle Milanaise. Un amour sincère et confiant, au point que le marchand commence à songer au mariage. Mais voilà qu'il apprend que sa belle n'est autre que la fille de son débiteur, l'abject Boccetta !
On pourrait s'en douter, mais quelque part on espère encore une fin heureuse... L'amour peut-il être plus fort que l'orgueil et le désir de vengeance ? Ce n'est pas le cas pour Behaim. Alors, il trahit... à cause de l'argent, de l'orgueil blessé, de peur de perdre la face en aimant trop...
Et Léonard peut commencer ses croquis.
J'ai bien aimé la fin malicieuse de Perutz. Et aussi les observations de Léonard sur la peinture et la nature, comme sorties tout droit de ses carnets.
Pour l'anecdote - j'ai lu ce livre dans l'avion. Avec cette vue quelconque sur l'aile, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à l'obsession de Léonard et à ses nombreuses expériences non-concluantes avec la machine volante. Et je me demandais dans quel état d'esprit il serait, lui, parmi tous ces voyageurs blasés...? Mais c'est une autre histoire.