Joseph Peyré, on le sait, n'était pas un grand montagnard, pourtant il a écrit deux des plus grands livres sur la
montagne : «
Matterhorn » (1939) et «
Mont-Everest » (1942). Au point que
Roger Frison-Roche (qui sur ce point est un peu une référence) a dit de lui : « Un grand merci,
Joseph Peyré, pour m'avoir fortifié par ces récits prémonitoires de la
montagne et des déserts, qui m'ont dicté ma propre aventure ».
Il y a une certaine continuité entre ces deux romans : le thème, d'abord : l'ascension d'une
montagne mythique, avec tout ce que cela implique au niveau personnel, relationnel, et même spirituel, et ensuite, le fait que ce soit le même héros apporte une cohérence à l'oeuvre, semblant dire que chaque ascension est différente, et en même temps, ressemble à la précédente, parce que toute ascension est une remise en question.
L'Everest ne sera vaincu qu'en 1953 (le 29 mai exactement, je m'en souviens comme si c'était hier), par un anglais
Sir Edmund Hillary, et le sherpa Tensing Norgay. le roman, écrit en 1942, est donc pour le moins un roman d'anticipation.
L'expédition de 1953, était la neuvième. Celle (imaginaire) de 1942, se place après deux expéditions tout aussi mythiques en 1922 et 1924. Celle de 1922, conduite par Charles Bruce et Edward Lisle Strutt, avec parmi ses membres un enseignant, George Mallory, intéressa particulièrement
Joseph Peyré qui consacra son à ce dernier son troisième roman de
montagne « Mallory et son Dieu ».
Il y a deux différences essentielles entre le
Matterhorn et l'Everest : la taille, bien entendu (4478 m pour le premier, 8849 m pour le second, ce n'est pas tout à fait la même catégorie), et puis le fait que le
Matterhorn a déjà était vaincu alors que l'Everest était encore d'une blancheur… virginale. Il y a donc d'un roman à l'autre un élément nouveau : l'attrait (et la crainte en même temps) de l'inconnu, auquel il faut peut-être ajouter « l'exploit », l'occasion d'inscrire son nom dans l'
histoire de l'alpinisme.
La cordée comprend trois hommes : le chef de l'expédition, un Hindou appelé Jewar Singh, en quête mystique autant que sportive, Macpherson, un vieil écossais irascible et à la tête de bois, et enfin Jos-Mari, notre guide suisse, hercule au grand coeur, aussi attentif aux porteurs sherpas, admirables de dévouement, qu'à ses compagnons de cordée. Les différences de caractères se font vite sentir. Et la
montagne n'a pas dit son dernier mot…
«
Mont-Everest » est bien plus qu'un roman de
montagne. Il s'agit ici d'une quête initiatique. (C'était déjà le cas sur le
Matterhorn, où les personnages, en quelque sorte, se cherchaient eux-mêmes, mais ici c'est à une autre échelle). La
montagne est allégorique, sa conquête symbolise à elle seule tout ce à quoi l'Homme rêve d'aboutir : l'absolu, le bonheur, la sérénité, la communion universelle entre l'Homme et l'Univers, la pureté des neiges éternelles… En même temps, on n'a rien sans rien, il faut souffrir pour y arriver, parfois tomber et repartir (quand on peut), et ne voir le sommet que dans le brouillard, sans être tout à fait sûr du bon chemin…
Joseph Peyré manie à la perfection ces deux outils : le documentaire technique, reportage « sportif » digne des « Coulisses de l'exploit » (ça rappellera des souvenirs à quelques-uns), et la réflexion personnelle sur le sens de la vie, l'engagement, la relation avec les autres… Et en prime de jolies descriptions qui, sans faire « couleur locale », nous plongent d'autant plus dans l'action du roman
Un grand roman de
Joseph Peyré à placer dans votre bibliothèque à côté de «
Matterhorn » et de « Mallory et son Dieu » (si vous le trouvez), des grands romans de
Roger Frison-Roche, ainsi que du très beau livre de
Pierre Moustiers « La Paroi ».