Voilà où je suis quand je ne suis plus là...
Dans une pièce sans portes ni fenêtres, aux murs assez fins pour que je puisse voir et entendre à travers mais trop épais pour être franchis.
Je suis là sans être là.
Je tambourine pour qu'on me fasse sortir mais personne ne m'entend.
Voilà où je suis quand je ne suis plus là...
Dans un pays où tout le monde est différent de moi, où le langage est l'acte de ne pas parler, où l'air que nous respirons est saturé de bruit.
Le coeur humain est pareil à une étagère. On peut y entasser beaucoup de choses, jusqu'au moment où tout dégringole et se casse en mille morceaux.
- Je ne suis pas autiste. J'ai l'autisme. Comme j'ai les cheveux bruns et les pieds plats. Je ne comprends pas pourquoi je suis toujours "l'enfant Asperger".
- Je n'en sais pas autant que ta mère sur le syndrome d'Asperger, poursuit-il. Mais je crois que nous avons tous quelque chose en nous qui nous empêche parfois de communiquer comme nous le voudrions.
Le concept me plaît : le syndrome d'Asperger serait comme une dose de parfum, plus ou moins concentré selon les personnes.
Chez le docteur Moon aussi, on entre par une porte et on sort par une autre, afin que les gens dans la salle d'attente ne nous voient pas. Question de confidentialité, je sais, mais je trouve débile que les psychiatres entretiennent eux-mêmes l'idée que la psychiatrie est quelque chose qu'il faut cacher.
Quand on se donne autant de mal pour être normal, c'est qu'on ne l'est pas.
Ne posez jamais de questions ouvertes à un enfant, du genre : "Tu veux aller te coucher?" Vous pouvez être sûr qu'il ne voudra pas. Demandez-lui plutôt : "Tu veux monter dans ta chambre tout seul ou tu veux que je te porte?" Ainsi, d'une manière ou d'une autre, il ira se coucher, et il aura l'impression de l'avoir décidé.
Ses six kilos s'élancent vers moi. Thor est un caniche nain. Il n'aime pas qu'on le dise. Dès qu'il entend le mot "caniche", il montre les dents. Je le comprends. Quel chien voudrait être un caniche ? D'ailleurs, il devrait n'y avoir que des caniches femelles, si vous voulez mon avis.
Je fais tout ce que je peux pour lui. Je lui ai donné le nom d'un puissant guerrier. Je ne l'emmène jamais chez le toiletteur. Cela dit, au lieu de paraître moins efféminé, avec ses poils longs il ressemble à un balai à franges.
Personne ne demande jamais à Superman si la vision aux rayons X est un handicap, s'il souffre de voir à travers les murs des gars qui frappent leur femme, des pauvres filles qui se prostituent ou des losers qui surfent sur des sites porno. Personne ne demande jamais à Spider-Man s'il a le vertige. Pourtant si leurs super-pouvoirs se rapprochent des miens, pas étonnant qu'ils n'arrêtent pas de se mettre en danger. Ils espèrent sûrement mourir vite.
Le problème, c'est que je ne me rappelle plus comment j'étais sans Asperger; donc je ne peux pas savoir ce qui resterait. Je suis un peu comme un sandwich au beurre de cacahuète et à la confiture qu'on aurait ouvert en deux. On ne peut pas enlever le beurre de cacahuète sans enlever aussi un peu de confiture.