Après tout, à quoi sert la littérature si ce n'est pas à commettre cet acte irrationnel : inventer des réalités alternatives à partir de la matière du monde, donner un voix à celles et ceux qui n'en ont pas, déposer des pansements de mots sur les injustices, habiller d'un corps les fantômes, projeter les souvenirs en Technicolor, déclamer notre amour à celles et ceux qui ne peuvent plus nous entendre.
Son génie, ce sera d'être vivante.
C'est une question politique, dit Sylvia. Il s'agit de redonner de la hauteur et de la noblesse à l'expérience féminine dans son ensemble, de la quotidienneté jusqu'au désir, et de la sortir de sa supposée petitesse et de sa modestie. Ce qui relève du féminin n'est pas mineur. Il s'agit de dire notre vécu avec nos mots et notre langue - puisque c'est la notre - pour reprendre la main sur une parole accaparée par les hommes. [...] Et pour moi, écrire comme une femme, c'est s'emparer de sujets qui nous concernent intimement avec le même sérieux et le même regard universaliste qu'on accorde aux thèmes dit masculins. Je crois qu'Anne [Sexton] et moi sommes habitées du même désir de transposer cet héritage au monde contemporain, de faire de la féminité une liberté et une puissance.
Elle aurait dû se méfier : on ne peut pas faire confiance à quelqu'un qu'un numéro de claquettes ne rend pas heureux.
Elle n'imaginait pas ça possible, mais si les écrivains ,plus encore les écrivaines ont un rôle, si leur imagination peut avoir une utilité sociale et politique, c'est bien celle-ci : inventer une alternative à ce qu'on nous dit inéluctable, et tracer une troisième voie là où le reste du monde ne perçoit qu'un mur ou des broussailles.
Mais la vraie question, la seule qui mérite qu’on lui cherche une réponse, c’est : Comment vivre ?
Dans le monde de 1963, alors que commence juste à s’esquisser pour une femme le droit de vouloir ou de ne pas vouloir quelque chose, ne pas désirer d’enfants revient peu ou prou à se promener dans la rue en costume d’extraterrestre tout en pissant sur les voitures, c’est-à-dire s’octroyer une liberté tellement incongrue et scandaleuse que presque personne ne songe à l’imaginer.
- Tu sais qu'en turc, on ne dit pas "mes besoins sont aussi importants que les tiens", mais "senin canin can da benimki patlicen mi ?"
Ted s'immobilise, interloqué.
- Ça veut dire quoi ?
- "Ta vie est une vie, mais la mienne est-elle une aubergine ?"
Ce qui a changé sans doute, cet infime basculement, c'est que le vide de la mort ne semble plus davantage séduisant que celui de la vie. La balance s'équilibre. Alors autant continuer à vivre.
Ce qui est le plus difficile à accepter, c'est qu'après une tentative de suicide, vivre signifie avoir raté