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« Tu sais quoi, Aliénor ? Il faudrait qu'on se trouve une vieille baraque, avec un puits et un bout de terre, au milieu de nulle part. Dans un coin sans Internet. Un paradis, quoi. »
En arrivant chez nous, on aurait juste lu : « Il n'y a pas Internet au paradis ». Ça aurait été un genre de boucle bouclée. Un clin d'oeil pour nous rappeler le sens de nos choix, et celui de nos vies.

Aliénor et Alex rêvaient tous deux d'une histoire hors du monde, hors du temps. D'une vieille baraque dans la brousse sans internet, ils rêvaient en somme d'un paradis.

Quand la vie et l'actualité s'affolent, grèves, guerres, misère et autres malheurs, Alex est une énième victime de plus de ces bourreaux d'entreprise. Harcelé, maltraité, cherchant en vain un sens à sa vie professionnelle, il finit par se suicider. Sans un mot.

Aliénor retrace le fil de leur quotidien où les déboires d'Alex à son travail ne seront jamais explicites, par contre les mauvaises nouvelles au journal semblent donner le ton à l'impuissance, l'amertume et une certaine fatalité.
L'humour sera le bouclier de cette vague d'amertume dans le couple. Il faut bien en rire puisque ils se rient de nous.

Aliénor est acculée dans un deuil qu'elle ne sait comment apprivoiser. Entre colère et tristesse, les souvenirs et l'incompréhension sont laissées aux pieds du suicidé.

Un roman brillamment écrit qui dénonce les diktats économiques, les grands dirigeants au service du pognon plutôt que de l'humain.
Un roman sensible, sensé et intelligent au bord de l'overdose de ces nouvelles hécatombes, de ces gens qu'on piétine, qu'on met à genoux pour mieux les finir.

Il n'y a pas internet au paradis. C'est le prix de la liberté.
Loin de la frénésie des nouvelles accablantes, le silence et le libre choix de ne pas savoir.
Aliénor se questionne :
« Faut-il forcément être hors du monde pour accéder à la douceur et se sentir bien ? »
Chacun détient sa propre définition du monde. En noir et blanc ou en couleurs mais la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Et certains abandonnent. Paix à eux.


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Comme ce livre m'a parlé ! Comme il sonnait juste et comme il a fait écho à ma propre révolte. C'est bon de savoir que l'on n'est pas seul, que d'autres partagent nos opinions et que, malgré toute cette négativité, il y a aussi de quoi se réjouir.

Aliénor et Alex ont tout du petit couple parfait, à l'avenir et au bonheur tout tracés. La trentaine, elle, architecte indépendante qui a fondé sa boîte en association avec des potes anciens étudiants. Lui, jeune cadre en informatique au service d'un de ces monstres d'entreprises… qui finira par avoir sa peau. Après 18 mois de harcèlement, de disqualification et d'un minutieux travail de sape de la part de son nouveau manager, Alex choisit d'en finir.
Le récit s'ouvre sur ses funérailles. En s'adressant à son amour, Aliénor revient sur ce qui a fait leur vie jusqu'à ce drame et particulièrement sur les 18 derniers mois, où elle a vu, sans en prendre pleinement la mesure, Alex se consumer. Elle lui raconte la douleur de son absence, de voir leurs rêves brisés ; la colère envers cette société d'hyperproductivité « qui ne valorise rien tant que d'être un battant et d'aller de l'avant, quoi qu'il arrive », envers cette toute puissance de l'économie et de son symbole, la Grande Entreprise, broyeuse de vies et d'individualités dans le seul but de faire de l'argent, toujours plus d'argent, au mépris du plus élémentaire respect de la Vie.
Elle lui dit, aussi, comment, jour après jour, un pas après l'autre, elle parvient tout doucement à reprendre goût à la vie, à se, à lui, pardonner, à se reconstruire grâce à la « beauté de l'Art » qui l'a toujours « sauvée du désespoir », grâce aussi à de belles rencontres qui sont autant de sources de réconfort et de joie.

J'ai aimé ce ton, ce style « oral », direct, sans fioriture, ironique, par exemple quand Alex et Aliénor commentent les flashs infos qui rythment le récit, tout en l'ancrant bien dans notre époque :

« Malgré la mobilisation locale et internationale, malgré les pétitions et les manifestations, s'ouvre aujourd'hui au Brésil l'immense chantier du barrage hydraulique de Belo Monte. de l'avis des ONG qui connaissent bien le terrain, c'est la survie même d'environ vingt-cinq mille Indiens qui est menacée.
Tu as dit : «Ooh, bah vingt-cinq mille indigènes, qu'est-ce qu'on nous gonfle avec ça. C'est pas comme si c'étaient des humains tout autant que nous, hein, non plus. »
Je ne sais plus qui prétendait que l'humour est la politesse du désespoir. Il faut croire qu'il avait raison. » p. 208

Enfin, j'ai surtout apprécié que Gaëlle Pingault ne prenne pas ses lecteurs pour des cons, en leur évitant un « happy end » qu'ils auraient pu voir venir et en faisant d'Aliénor une héroïne comme vous et moi (quoique je n'aurais pas son aplomb): car oui, sa revanche, elle l'aura…

Pour tout ça, merci à vous, Madame Pingault. Et aussi à Babelio et aux éditions du Jasmin pour m'avoir fait découvrir ce qui s'avère être un coup de coeur.
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“Être la veuve d'un suicidé est un truc indémerdable. Entre la colère et la pitié, quelle place reste-t-il pour la peine, la vraie ? Comment fait-on son deuil quand on plaint son disparu autant qu'on lui en veut ?”

Lorsqu' Alex se suicide, Aliénor fait face à l'incompréhension et au vide laissé par sa soudaine absence. La trentaine, ils incarnaient un couple parfait de jeunes cadres parisiens dynamiques, lui informaticien, elle architecte. Aliénor savait qu'Alex souffrait de harcèlement moral au travail, mais n'en avait pas pris toute la mesure. Tâchant de comprendre son geste, elle revisite les derniers mois de leur vie commune, essaie d'interpréter le signes, de savoir ce qui a poussé cet homme dont elle était si proche à commettre un acte irréversible, d'une telle brutalité, sans qu'elle ne se doute de ce qui s'annonçait.

Gaëlle Pingault s'empare d'un sujet pénible et malheureusement terriblement d'actualité, la souffrance au travail qui, même si elle ne mène pas toujours, heureusement, au suicide reste une épreuve dont on ne sort pas indemne.

Cette lecture me fût douloureuse en me ramenant vers une période que je croyais définitivement enfouie dans le tiroir des mauvais souvenirs.
Aller travailler la peur au ventre, parce qu'un « petit chef » a pour mission de vous pousser vers la sortie, je sais ce que c'est. Même, si heureusement je n'ai jamais perdu pied, cette maltraitance insidieuse est forcément déstabilisante et dévalorisante.

Outre ce ressenti très personnel, je salue ce premier roman élégant et pudique où l'auteure réussit avec brio à éviter le pathos à l'évocation de cette lente mise à mort psychique, prélude à une mort physique.



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Encore une bonne pioche , décidément les masses critiques babelio sont une magnifique occasion de sortir de ses sentiers battus, et, pour moi, d'explorer des styles et des thèmes où je n'irais pas spontanément...

Attention, talent...

Aliénor nous livre, au fil des pages, son combat intérieur.... sidération et abattement, colère, presque folie, et puis la lutte, le courage face à l'injustice, puisé dans le souvenir de l'être aimé, malgré et sans doute à cause de ses petits travers...

Aliénor est veuve à trente ans, d'un mari "suicidé" par la Grande Entreprise... nouvelle victime du harcèlement au travail et des pervers narcissiques de tous bord.. désormais seule face à une société de consommation qu'elle abhorre tout en étant consciente qu'elle y participe, Aliénor sombre. Puis elle décide finalement d'affronter le tortueux M. Boucher et ses semblables, de reconstruire son identité.

Phrases courte qui , sous couvert de détachement, mettent en pièces le convenu ; humour désenchanté et lucide, complicité avec le lecteur dans une langue de tous les jours , mais intelligemment détournée... ce roman, féminin, ne saisit pas en force mais "fert" d'estoc, à coups vifs et insistants, jusqu'à ce qu'on s'avoue conquis.

Gaëlle n'est pas Aliénor. Son mari n'est pas mort, et elle prend soin d'évoquer son triangle parfait en ouverture du roman. Elle a eu une décennie de plus pour peaufiner son humour mordant, et en tant que quadras on se retourne avec d'autant plus de tendresse sur cet âge où tous les mirages du succès social se déploient. Elle a fait le choix d'une profession indépendante aux embruns bretons, plutôt que de se laisser broyer par le grand capital.

Sage précaution car, à la lire, on prendrait presque son téléphone pour lui rappeler qu'on est potes depuis 20 ans et qu"on est là pour la soutenir. Mais en fait c'est à nous qu'Aliénor / Gaëlle adresse un message de courage. Pas un texto, pas message internet, mais une vraie lettre, écrite à la maison avec ses tripes.

Oui, les medias continuent de débiter leur litanie d'infos convenues et vides de sens ; oui chacun se console comme il peut avec les séries télévisées ou les voyages au bout du monde ; et les Boucher et autres Trump continuent de croire diriger le monde à coup de dollars. Mais parfois un ton vrai, des mots simples, mais pleins d'intelligence et de coeur, nous ouvrent, le temps d'un roman sans prétention, une fenêtre ouverte, par le langage, sur nos vrais liens d'humains, et sur le petit bout de paradis qu'un simple sourire ouvre parfois au plus désespéré.
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« Tu disais : "Il n'y a pas Internet au paradis". La formule t'était venue un jour, en vacances. Nous prenions le soleil dans un joli coin de bord de mer, en Bretagne Nord oui, j'ai bien dit "soleil" et "Bretagne Nord" dans la même phrase, particulièrement mal couvert par les réseaux de téléphonie mobile. Nous nous sentions un peu seuls au monde, ce qui était un comble vu le nombre de touristes qui arpentaient les rues du village. Mais nous étions loin des contraintes, et nos téléphones n'avaient pas suffisamment de peps pour nous les rappeler. Après un jour ou deux de cure de désintoxication express, ce furent des vacances parfaites.
Un soir de ces vacances idylliques, tu m'as dit: "Il n'y a pas Internet au paradis." j'étais un peu partie, je crois, la faute aux mojitos à tomber par terre d'un petit pub hautement sympathique où nous traînions souvent le soir. La musique y était bonne. Ceci expliquait cela. »
Cette jolie formule, qui donne son titre à ce premier roman et qui est expliquée dans ce passage, révèle avec beaucoup de pudeur et un peu de poésie le drame que vit Aliénor. Son mari Alex s'est suicidé et ne lui adressera ni courriels, ni SMS. Pas plus qu'il ne concrétisera leurs projets communs, comme cette envie de retrouver la campagne et un rythme de vie différent. Alex n'aura pas supporté la pression de son entreprise et particulièrement celle de son supérieur répondant au doux nom de «Boucher». Au fil des pages, le lecteur va découvrir comment le harcèlement professionnel peut conduire à de telles extrémités, mais aussi combien le système peut défendre ces cadres supérieurs que personne n'ose nommer appeler assassins. Et pourtant…
Voici donc Aliénor qui nous raconte les jours heureux, leur vie de couple, mais aussi le poids de l'absence et les doutes qui s'emparent d'elle: «Je ne sais pas si je vais savoir faire ma vie sans toi. Recommencer officiellement à vivre, sortir du no man's land tolérable après ton décès.» L'envie de mettre les coupables devant leur responsabilité et surtout la culture (une rencontre en librairie, la visite d'une exposition d'art) vont toutefois lui permettre de rebondir et de transformer cette histoire violente et douloureuse en un roman de la résilience pour ne pas dire de la renaissance.
Gaëlle Pingault écrit sur le fil du rasoir et réussit le tour de force, pour un premier roman, de nous confronter avec une actualité brûlante. À l'image de ces informations que distille la radio au fil des jours et qu'Alex aimait bien commenter – et qui parsèment le livre – elle offre ainsi au lecteur le miroir de notre société et de ses dérives.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Je découvre ce roman dans le cadre des 68 premières Fois. Avec Il n'y a pas Internet au paradis, Gaëlle Pingault a choisi un sujet grave et terriblement actuel : le burn out et le harcèlement moral au travail et leur conséquence ultime, le suicide sur le lieu même de l'entreprise…

D'emblée, dans ce livre, c'est la légèreté de l'écriture et son ton familier qui frappe et qui dérange, prenant le contrepied de la dure réalité des évènements ; ce style particulier abolit les distances, empêche même le lecteur de prendre du recul : qu'il le veuille ou non, il est en plein dedans et comme le héros défunt, il sent que « ça pue » …
Le dénouement est annoncé dès le premier chapitre : la fin sert de début et à partir de là, la trame narrative remonte le temps. le lecteur est embarqué dans la logique stérile du comment on en est arrivé là… Mais sans obtenir vraiment de réponse à ses interrogations dans « la nébuleuse complexe des statuts au sein de l'entreprise ».
Les chronologies s'entremêlent entre l'après, quand il faut gérer le deuil, le ressentiment, le pourquoi et le pendant, c'est-à-dire la descente aux enfers qui, au final, aura duré dix-huit mois. Des flashes d'actualité, en italique, ponctuent le récit, miroirs d'une société qui va mal face à ce couple qui a « de moins en moins le sentiment d'être en phase » avec elle mais qui allait bien avant que tout bascule...
La narration est à la première personne et c'est la veuve qui parle, qui raconte, qui cherche à comprendre ce qu'elle n'a pas vu arriver. Elle ne s'adresse pas aux lecteurs, mais à l'absent : « c'est fou ce que l'absence est imaginative, multiforme, transformiste. Toujours différente mais toujours présente ». Son JE cherche un TU… dans le vide de la solitude et des questionnements. Mais comme le TU n'est plus là, il n'y a que MOI et NOUS, les lecteurs, prisonniers du livre, victimes comme Alex, complices comme M. Boucher et cherchant des réponses comme Aliénor, la narratrice.
Ce prénom n'a sans doute pas été choisi par hasard : c'est celui d'une grande reine des XIIème et XIIIème siècles, une femme d'exception, au caractère particulièrement bien trempé et à la rancune tenace. L'héroïne du roman de Gaëlle Pingault démontre une certaine force, une grande capacité de résilience ; c'est la beauté de l'art, sous toute ses formes y compris littéraire, qui la sauve du désespoir, au gré de récurrences qu'elle souligne elle-même. Elle livre une belle leçon de vie, au-delà du chagrin impuissant, de la colère légitime et du mépris profond pour certaines façons d'agir.

J'avoue avoir eu un peu de mal avec le ton trop direct, trop rentre-dedans adopté par Gaëlle Pingault dans son roman, mais cela ne m'a dérangée qu'au tout début de la lecture ; ensuite, je suis entrée dans ce monologue, j'en ai apprécié les formules anaphoriques et épiphoriques, les répétitions, les bons mots, l'humour caustique, la terrible lucidité.
On mesure la réussite d'un livre à la manière dont son auteure embarque le lecteur, malgré lui, et c'est ce qui s'est passé pour moi : pour de multiples raisons, je ne voulais pas y aller, mais j'y suis allée quand même et je ne le regrette pas.
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Aliénor et Alex, jeune couple à qui la vie sourit, ont plein de projets en tête. Dans un monde en plein évolution, ils rêvent également d'une autre vie possible, où l'important serait pris en compte. Mais c'était sans compter avec l'arrivée d'un manager aux pouvoirs dévastateurs et destructeurs.

Quel sujet grave et difficile à aborder pour un premier roman ! le harcèlement moral qui débouche sur l'inéluctable au sein de l'entreprise est un sujet, malheureusement, d'actualité. Vers quelles souffrances faut-il avoir été propulsé pour en arriver au suicide ! le tout sous prétexte d'une meilleure rentabilité de l'entreprise.

Difficile d'aborder cette situation avec une certaine légèreté. Et pourtant c'est la force même du livre de Gaëlle Pingault qui a su habilement manier l'humour afin de décrire l'incompréhension, la douleur, la survie après le deuil. Elle retrace la prise de conscience de la descente aux enfers provoquée par le mode managérial sournois et insidieux mis en place à seule fin d'amener les salariés à quitter l'entreprise. Retours vers ces détails qui n'en sont plus.

Avec sensibilité et un humour certain, Gaëlle Pingault ne cherche pas à démontrer les mécanismes destructeurs de cette relation au plus haut point néfaste de l'entreprise et de ses salariés. Elle écrit la détresse de celui qui n'a pu trouver comme exutoire que le suicide. Elle écrit la détresse de ceux qui restent. Des mots simples, des pensées, des ressentis et la mise en place de mécanismes de protection afin de pouvoir absorber l'incompréhensible, afin de pouvoir continuer seule. Elle dévoile les interrogations, les incertitudes, les évidences et l'impensable après la mort de la personne que vous aimez : pouvoir revivre, pouvoir ressentir ces petits bonheurs du quotidien, pouvoir apprécier.

"Je vais y arriver, tu sais. J'ai décidé d'être résiliente, je me répète ça comme un mantra, j'ai décidé que je m'en sortirai. Ce n'est pas marrant-marrant tous les jours, mais je vais y arriver. le bon revient doucement".
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« Je l'ai déjà dit, il me semble. Un jour, je ferai la liste de tout ce que je dois à la beauté de l'art. de toute les fois où elle m'a sauvée du désespoir. Il se pourrait que la liste soit longue. »
Voilà une belle pensée, une jolie philosophie gourmande sur l'art caressant notre épiderme, embrassant notre âme, embrasant notre espoir de bonheur naissant.
Ce roman Il n'y a pas Internet au paradis de Gaëlle Pingault reçu pour la masse critique de Babelio, est une parabole sur la société du monde du travail, une critique acerbe mélodieuse de notre monde actuel.
A travers un acte absurde, une femme de quarante ans se retrouve face à la solitude de sa peine, se fissure dans les détales de questions, n'oublie pas sa rencontre et son couple.
Ce roman au style direct, à la première personne, facilite la logorrhée orale de la pensée pour une écriture simple, usuelle. Ce mode implique le lecteur dans cette douleur pour s'y dissoudre, pour s'y perdre et ce miroir du je reflète le lecteur dans sa propre histoire.
Certes l'écriture reste une fragilité, mais celle-ci catalyse celle de la narratrice, la douleur sourde emprisonne Aliénor dans une sorte de tourbillon émotionnel inextricable. Cette femme architecte mariée avec un cadre informaticien, Alex joue avec perfection le couple typique de notre société actuel, bourgeois-bohème, générer de l'argent pour le dépenser. Petit à petit, cette vie s'effrite pour une utopie rurale, une vie de liberté, un éden pour se dire.
« Il n'y a pas Internet au paradis »
Cet adage simple enveloppe tendrement l'âme en peine de ce fantôme, ce mari ancré dans une multinationale cotée en bourse, son service est sous l'emprise d'un nouveau directeur au patronyme glaçant de Boucher, ce dirigent est le point de rupture, il est en quelque sorte la mal actuel de notre société de consommation où l'argent est roi.
Gaëlle Pingault avec beaucoup de maitrise, communie la colère de notre veuve et sa tristesse avec une simplicité pour la libérer en nous, toujours avec une pointe d'humour, une simplicité, un naturel. Il n'est toujours pas si simple d'exprimer la perte d'un être cher, d'investir les chemins silencieux du deuil soudain, celui d'un suicide, l'absurdité Camusienne.
Le harcèlement au travail règne de droit, l'être humain devient de la viande à hacher, seul l'argent prime, rimant avec la politique, Alex prit dans cet étau, s'emprisonne dans son monologue sourd, glisse loin de son monde, laisse son alliée Aliénor, sa femme dans le silence pour soudain s'immoler !
Ce roman est tout de même un cri d'espoir, un appel de l'art comme médicament à la tristesse, un livre peut arracher le rire caché par la tristesse d'un disparu, une musique des Floyd devient un bien être où la sérénité plane.
Le roman est entrecoupé d'informations orales écoutées par notre couple amoureux, Alex à chaque fois s'étonne, s'insurge, pestifère mais Aliénor avec beaucoup d'humour l'écoute l'apaise, l'aime. Gaëlle Pingault invite notre monde dans celui de ce couple à travers ces intermèdes de la radio.

La résilience est le seul moyen pour faire face au malheur selon Gaëlle Pingault, Aliénor y trouvera cette paix, comme cet argent obtenu de l'entreprise de son mari, signe maladroit d'aveu, pour en faire don à la fondation de France.
Et je vais comme Aliénor, écouter Echoes….
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Le pouvoir de la littérature est infini. Un baume sur les plaies les plus douloureuses. Quand une héroïne de roman s'interroge sur le nombre de fois où l'Art lui a sauvé la vie, vous savez que vous êtes en bonne compagnie. Il n'y a pas de hasard. J'avais lu ce premier roman cet été pour les 68 premières fois. Dévoré, adoré... et hop ! sélectionné ! Sans savoir que bientôt il trouverait un écho particulier en moi.

Il faut dire que Gaëlle Pingault trouve le ton et la juste distance pour aborder ce thème hautement douloureux qu'est le deuil d'un être cher. Avec un premier chapitre qui provoque immédiatement l'empathie du lecteur pour Aliénor Végant, jeune femme jusque-là parfaitement heureuse et dont la vie vient d'être brisée par le suicide d'Alex, son mari. Aliénor et Alex formaient un couple de parisiens un peu bobos, aux vies professionnelles bien remplies avec des envies d'autre chose, de verdure et de sens. Architecte, Aliénor rêvait de construire beau et utile. Cadre informatique dans une grande entreprise de télécommunication, Alex s'interrogeait de plus en plus sur la dureté du monde. Jusqu'à ce que cette violence le rattrape au quotidien. Harcèlement, brimades, cruauté de méthodes de management plus ou moins cautionnées par une hiérarchie obsédée par les coûts et les économies d'échelle... Alex s'est suicidé, sans un mot, laissant Aliénor face au vide et aux questions.

Entre souvenirs et affrontement du présent, la plume de Gaëlle Pingault dessine une Aliénor perdue et décidée à la fois, qui interroge sans cesse les signes ou les paroles d'Alex à l'aune de ce geste définitif. Mais comme je le disais plus haut, l'équilibre est parfait, le fil sur lequel avance la jeune femme laisse passer l'émotion sans jamais céder à la facilité dramatique. Une pointe d'humour, le regard décalé qu'elle porte sur son couple et leur rapport au monde à tous les deux, la confiance qu'elle choisit de se faire... Malgré la violence du contexte qui affleure dans ses rapports avec l'entreprise de son mari, malgré les vérités crues que l'on devine à travers les pressions subies par Alex, malgré les extraits de bulletins d'information radiophoniques qui ponctuent chaque chapitre... Malgré tout ça, une certaine douceur entoure le lecteur. Grâce à des rencontres, une dose de bienveillance, une soirée en librairie, un spectacle envoûtant, la visite d'une exposition qui imprime du beau sur la rétine.

L'auteure parvient ainsi à mêler le thème de la violence au travail (en l'englobant dans celle inhérente à la dureté globale du monde) et celui du deuil et de la renaissance, sans plomber le lecteur, bien au contraire. Elle nous offre un roman lumineux, juste et poignant. Qui ne nie pas la douleur mais propose de la dépasser et de choisir la résilience.

"Je me sens comme une gosse à la veille de la rentrée. J'ai la trouille. Une grosse trouille. Je ne sais pas si je vais savoir faire ma vie sans toi. Recommencer officiellement à vivre, sortir du no man's land tolérable après ton décès. Avoir une vie professionnelle et une vie privée, et articuler les deux. Sans toi. Je n'ai jamais été tapie dans ton ombre. Je n'ai pas à me découvrir ni à me construire, ça va, merci. Mais je t'avais choisi, alors que je n'ai pas choisi de me passer désormais de toi. C'est ce non-choix qu'il me faut désormais apprivoiser".
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Les surprises des PAL: attraper un livre dont le titre m'évoque un roman léger, m'allonger pour m'endormir et me retrouver en larmes à la fin du premier chapitre avec cette exclamation: "ha non! C'est pas un livre pour se détendre avant dodo ça!".
J'ai reposé le livre, mais de le lendemain, j'ai retenté un second chapitre, et là mon esprit y revenait sans cesse.

Le style d'écriture est plutôt original, il mêle un style oral, des brèves de radio et quelques phrases souvenir. On sait toujours s'y retrouver et les répartitions sont claires.
Le sujet est très délicat à traiter et l'autrice, Gaëlle Pingault, s'en est sortie à merveille!
Aliénor et Alex sont mariés. Alex se retrouve en souffrance au travail à cause d'un management de sape fait pour liquider le service, il s'immole devant ses bureaux. Aliénor, alliée d'Alex, aliénée par la souffrance, oscille entre douleur, tristesse et colère, cherchant si elle peut encore vivre après le choc.
Nous suivons son deuil, ses pensées, ses premières fois seule, ses peurs, ses doutes, ses souvenirs...

C'est un très beau roman, délicat et juste sur le deuil, la souffrance au travail, la société de consommation, etc.

Il mérite le plus beau compliment qu'on puisse faire à un livre: le faire partager! J'ai envie de le faire lire à mon mari et à ma mère dès aujourd'hui!
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