Le qualificatif le plus utilisé à propos de
Jacques Prévert est celui de "populaire". Sans doute veut-on par là rendre hommage à la ferveur que l'oeuvre du poète - et du scénariste, ne l'oublions pas - génère sur l'ensemble de la société, et particulièrement les petites gens, les héros du quotidien, (ceux "de la haute" trouvent généralement moins grâce à ses yeux). Et c'est justice. Mais, à mon avis il ne faut pas s'enfermer dans cette vision d'un homme, qui ne cache ses opinions libertaires (limite anarchiste, parfois), défenseur des pauvres et des opprimés, athée militant, pacifiste acharné, antimilitariste convaincu... le combat de
Prévert est certes politique, mais pas seulement. Il est universel. Les valeurs qu'il propose sont celles du bon sens, et celles du coeur. Alors oui, populaire, il l'est, dans le sens où non seulement il parle du peuple, mais encore il s'adresse au peuple. Et la preuve que
Prévert est à la fois un grand poète et un homme de coeur, c'est que sa poésie s'adresse à chacun de nous, et nous touche à tous personnellement : il nous émeut, il nous fait rire, parfois il éveille notre ressentiment ou notre colère. Et chaque fois, l'émotion qu'il suscite est personnelle et universelle, parce que nous la ressentons tous de la même façon, intimement et collectivement.
Bien sûr, il y a des ficelles pour obtenir ce résultat (mais n'est-ce pas plus tôt un instinct, une empathie spontanée, un élan venu du coeur) : et tout d'abord l'esprit d'enfance.
Prévert se souvient de l'enfant qu'il a été, et parle à l'enfant qu'a été le lecteur. Et ce, jusque dans la formulation : le langage enfantin, fait mouche à tous les coups. Il n'est pas étonnant qu'il soit l'ami de cet autre ami des enfants,
Robert Doisneau. Pour en avoir confirmation, reportez vous à l'album de ce dernier intitulé Rue
Jacques Prévert (Editions Hoëbeke, comme tous les albums de Doisneau, à avoir impérativement dans sa bibliothèque). Ensuite l'impertinence, voire l'insolence. Ici ce n'est plus l'enfant, c'est l'ado, c'est le potache, le trublion politique; et les thèmes ne manquent pas : l'armée et la religion en premier lieu (n'oublions pas que
Prévert fit ses premières armes auprès des surréalistes dont Buñuel et
Dali), et toutes les formes d'oppression. Enfin, l'amour, dans sa dimension personnelle et universelle :
LE JARDIN
Des milliers et des milliers d'années
Ne sauraient suffire
Pour dire
La petite seconde d'éternité
Où tu m'as embrassé
Où je t'ai embrassée
Un matin dans la lumière de l'hiver
Au parc Montsouris à Paris
À Paris
Sur la terre
La terre qui est un astre.
Paroles (1946) le premier recueil de
Prévert, est aussi son meilleur. Nombre de ces
poèmes ont été mis en musique (Par
Joseph Kosma, essentiellement) et chantés par les plus belles voix de la Chanson française, des années 40 à aujourd'hui - et ce n'est pas fini !m
Jacques Prévert n'est pas un guide, mais un compagnon de route, plus près de Saint-Ex ou
Desnos que de
Sartre ou Camus, un de ces types qu'on est sûr de retrouver un jour ou l'autre, parce qu'ils se situent justement au carrefour des humains.