MOTS DE PASSE
Par son nom chaque chose m’appelle :
La lampe, les draps blancs,
La chaude nuit d’été.
Dans le lointain silencieux
Tremblent quelques lueurs.
Une odeur de cendre
Dans un battement d’ailes
Monte de la terre nue.
Qui va là ?
Les mots s’enchaînent :
Le feu rougit le fer,
Le boucher lave ses mains rouges,
Ses couteaux brillent sur l’étal.
Qui va là ?
Mots paisibles, arrogants,
Qui me fuient, qui m’enlacent
Fantômes se coulant dans mes rêves,
Enigmes invalides, rébus à déchiffrer,
Nous allons dans ce labyrinthe…
— Qui va là ?
Carnet de VEILHes, III, p.12
FOUIR
[…]
Elles* patrouillent dans la fange
Avec les lombrics et les taupes ;
Elles pétrissent le pain noir,
Fouissant l'haleine des tourbes,
La puanteur feuillue des accroupissements.
Nulle grâce ! Racines de grand deuil,
Âtre de vérité, mutisme paysan,
Travaux forcés, besogneux, acariâtres,
Racines intendantes à quai de l'insomnie,
Comptables rigoureux, noir sur blanc,
DOIT, AVOIR, nos bilans, O Seigneur, non,
Ne jugez pas au son de la trompette !
Que nos sueurs soient en vos sèves,
Là-haut, nuées, avec l'eau en allée,
Le devoir assigné, la vertu affectée,
Si l'amour fou qui nous éveille
Nous fait enfant dans l'orbe du soleil,
Une fois, une seule, dans l'impossible amour
Qui corsette la mère et bâillonne le fils…
Gorgées de lumière et de sève,
Les feuilles bruissent sous l'embellie,
Les fleurs butinent les abeilles.
p.11
* les racines
À Josette et Éric
|…]
On est sans doute poète sans raison. Comme une arbre.
Simplement enraciné dans la terre et dans le ciel. Avec
seulement quelques mots pour répondre de sa vie. Ce
serait pitoyable s'il n'existait des êtres tels que vous,
mes amis, pour reconnaître ce très modeste faiseur de pain
et l'accompagner dans sa précaire et éphémère fonction.
Janvier 1999.
p.7
FOUIR
Gorgées de lumière et de sève,
Les feuilles bruissent sous l'embellie,
Les fleurs butinent les abeilles.
Ormeaux, frênes , érables,
Épris du bleu lointain,
Et vous peupliers si résolus
À vous hisser jusqu'au printemps !
Les cœurs naïfs des lilas blancs
Du renouveau chantent cantique,
L'aubépine bataille sous la neige
Dans la haie que le vent défait.
Et vous, pollens, et vous, calices,
Est-ce l'amour, est-ce la vie
Qui emporte vos épousailles ?
Qu'espériez-vous ? La poésie ?
De leurs poignes enchevêtrées
Les racines en sentinelles
Défient la faim, la soif,
Le pourridié, l'éboulement ; …
p.10
JOURNALIERS
La pompe à chapelet cliquetait,
L’eau versait dans la comporte,
Le cheval s’abreuvait, tressaillant
Sous une volée de mouches.
Ils avançaient au loin,
Courbés dans une infime aura
De poussière.
(J’entends leurs pas pesants
Posthumes).
Sur la margelle du puits
Une pierre à aiguiser,
Une assiette ébréchée.
Plus loin une comporte,
Une planche à laver
Posée sur ses pattes blanches.
Là Maria battait son linge.
Ils transpiraient
Dans les rangées de ceps,
Fourbus, heureux,
Mais ils n’en savaient rien.
Dans le domaine agrandi,
Aux bâtiments rénovés,
Des techniciens s’affairent.
Ils administrent un vignoble.
Personne n’est heureux,
Mais nul ne le sait.
p.30-31