Je suis un grand fan de
Jack London, dont je collectionne les écrits (réédités pour mon plus grand plaisir) et dont je me targue d'avoir bientôt lu toute la bibliographie. Mais dans ce fouillis de plus de cinquante livres aussi divers que cohérent, il en est un que je n'ai toujours pas lu :
le loup des mers. La raison est que lorsque cette BD est sortie, je ne l'avais toujours pas lu et je me suis réservé le plaisir de découvrir en avant première l'oeuvre qu'en aura tiré Riff Reb's.
Vous l'aurez compris à cette note, mais ce livre est exceptionnel. Et la liste des qualités est aussi longue que vous le souhaitez.
Le dessin ? Si ce n'est pour vous le point le plus fort, je crois qu'il faut au moins lui laisser sa maestria. Une virtuosité du trait, une noirceur métaphorique, un talent pour représenter le monde maritime ... Il est beau, précis, efficace. C'est dosé à la perfection pour faire ressentir toute l'atmosphère poisseuse d'une goélette de mer, toute la noirceur de ce navire hanté par son capitaine. Rien que le dessin mérite à coup sur qu'on s'y attarde, mais aussi qu'on le relise.
Le scénario ? Outre l'adaptation qui a été faite avec brio (
Jack London, malgré tout le respect que je lui porte, est souvent un peu daté dans la façon d'écrire), je dois dire que c'est un modèle pour expliquer les passerelles entre BD et livres : la façon de rendre ces écrits, cette voix intérieure qui traverse les pages, tout autant que la coupure en chapitres. Je suis émerveillé de la façon dont il a réussi à retranscrire les idées, les propos et l'histoire, tout en reconnaissant qu'on est pris aux tripes dans cette lecture presque viscérale.
L'ambiance ? le plus gros point fort selon moi. Une ambiance de mer, de philosophie, de mort et de noirceur. L'âme humaine dans ses plus bas niveaux, là où ni dieu ni le philosophe ne peuvent aider. C'est une parenthèse que nous ne connaitrons sans doute jamais, mais qui prend aux tripes par la façon de nous montrer des hommes dans leurs limites les plus absolues. Rien ne sera épargné au(x) héros, et ce pour notre plus grande horreur.
Les couleurs ! Une idée superbe : une couleur dominante par chapitre, envahissant toutes les cases et donnant un ton à chaque chapitre, renforçant les idées et les propos.
Et justement, finissons par cela : les propos. Les considérations de chaque homme, mais avant tout de Loup Larsen, le capitaine, sont une des raisons supplémentaires d'aimer cette BD. On y retrouve toutes les idées chères à
Jack London : la sauvagerie de l'homme, le nihilisme, l'opposition entre la culture et la force, le destin inéluctable de l'homme, le bonheur dans l'accomplissement physique détaché de toute philosophie, les "dandys" contre les travailleurs, la force primitive de la nature contre laquelle l'homme ne peut rien, et l'absurdité de la vie des hommes. Comme un rappel de notre condition, cette BD se fait défenseur d'idées peu développées aujourd'hui, jugées sombres, violentes ou très peu humanistes. Mais force est de reconnaitre la qualité des arguments employés par Loup Larsen, et ce jusqu'à la fin, qui semble ironiquement lui donner raison.
Une BD belle, une BD forte, qui fit grande impression à sa sortie, et qui le mérite amplement. du travail de ce niveau, c'est du chef-d'oeuvre. Dois-je préciser que je conseille la lecture ?