Le silence de mes nuits
Transporte mon cœur engourdi
Vers l'aube incertaine.
Iduri, le crayon à la main , oublie le basque, l’espagnol, le français, tous ces mélanges absurdes de mots qui s’entrechoquent dans sa tête et se perdent. Iduri sait qu’il est encore maladroit , mais il devine aussi que la trame du tapis volant a commencé à prendre forme, et que chaque ligne tracée tisse silencieusement le dialecte de son âme .
La chair de l’âme tiendrait-elle à si peu de chose ? Au reflet de soi dans des cuillères à soupe.
Aïta me dit que ce n'était pas un bol pour boire, mais un récipient à rêves, où ce ne sont pas les lèvres qui se posent mais les yeux qui se perdent.
Le vent après avoir traversé le fleuve
Et emporté nos souvenirs de là-bas
Se pose un instant sur leur paupières closes.
Le destin l'ébranle à l'hiver de ses jours, alors qu'il pensait se reposer tranquillement sur les quelques lauriers qu'il avait patiemment amassés.
Il se sent bien, il adore raconter à ses frères les histoires de Cranof,modeler les personnages et leurs vies à sa guise, être le maître absolu de la réalité.Il le vit comme une modeste revanche , une juste vengeance, se dit-il parfois, sur l'exil qu'ils subissent.
"Le vent, après avoir traversé le fleuve
Et emporté nos souvenirs de là-bas,
Se pose un instant sur leurs paupières closes."
Il est là, au milieu des autres, tous attirés par les sirènes du travail, et peu importe que ce soit pour relancer la machine de guerre. Peu importe que ce soit à la gloire de la haine, de la poudre et des armes, peu importe que cette même poudre vienne pulvériser les battements de cœur ami, d'un frère, d'eux mêmes, le plus important est de survivre aujourd'hui.
L'espoir surgit sur des chemins insoupçonnés...moi qui pensait ne pas être attaché aux choses matérielles, me voici bouleversée à la vue d'un carton rempli d'habits mal pliés.
L'humeur des enfants est aussi à la joie. Les deux aînés sont ravis d'aller dans une "vraie école" comme ils disent, à Saint-Paul-lès-Dax. Iduri restera avec nous à la ferme pour la simple et ridicule raison que nous n'avons que deux vélos et que sept kilomètres nous séparent du collège. Je dois l'écrire à nouveau pour le croire: mon fils, Iduri, n'ira pas à l'école parce que nous n'avons pas pu récupérer de vélo pour lui.
La honte a serré ses sangles autour de ma gorge.