Ce roman peut être résumé en un mot : déstabilisant. Et ce, pour plusieurs raisons :
- La narration est à la première personne, mais on alterne entre le point de vue de deux personnages ;
- On change de narrateur sans prévenir : tout le premier chapitre est consacré à Angel, et les suivants sont coupés en morceaux pour intégrer celui de Justus. Ces changements sont d'autant plus perturbant qu'on n'apprend que tardivement leurs noms ;
- Ces personnages font à peu près les mêmes choses : ils se rendent au même endroit, ont les mêmes ambitions, le même parcours, visiblement le même âge, parle aux mêmes personnes… Difficile de les distinguer, d'autant plus qu'on n'a aucune description de leur physique ;
- Angel semble être Asperger. Ou bien cyclothymique. Ou bien les deux… On suit ses pensées, qui papillonnent à droite à gauche, et ses émotions, qui basculent de haut en bas sans cesse. Ses réactions sont parfois dépourvues de sens : passer la nuit dans une écurie lui donne l'envie irrépressible, le lendemain matin, de hennir à tue-tête… Affreusement embarrassé par la présence des gens (surtout des filles), il préfère de loin la solitude ;
- Pour autant, Justus est lui aussi gêné. Jeune encore (la vingtaine), il parvient toutefois à cacher son embarras derrière une couche de fausse assurance. Malgré les troubles psychologiques du premier, les deux se ressemblent encore beaucoup ;
- Certains événements surnaturels n'ont aucune explication. Angel devient sourd du jour au lendemain. Il ne s'en inquiète pas plus que cela, se dit que le corps a ses raisons que la raison ignore. Et puis il retrouve l'ouïe quelques jours plus tard, sans explication non plus. À quoi servait cette surdité dans l'histoire ? À rien, finalement… Peut-être à le rendre plus gourd.
De même, il semblerait qu'il soit capable de voir les fantômes (capacité qu'il réfute immédiatement : les fantômes n'existent pas !) et que les animaux aient un étrange comportement envers lui (les chevaux l'aident, les oiseaux le détestent). Est-ce dû à l'étrangeté de ses perceptions ? Son esprit atypique forge-t-il de lui-même ces étrangetés ? Difficile de savoir.
Je suis mitigée.
Le Sanctuaire est une ville originale : toute carrée, dépourvue de centre, construite dans le but de maintenir la paix. C'est le repaire des ambassadeurs et des magisters, qui s'occupent d'organiser le monde à coup de cartes et de négociations. Mais ce havre de paix semble (chose inenvisageable) menacé. Une ambiance lourde y pèse.
Benoît Renneson nous fait nous sentir comme dans un labyrinthe lorsqu'on arpente ses rues toutes similaires, surplombées de passerelles, vides de gens, vides de vie. Une sensation d'étouffement, de perdition qui est très bien retranscrite.
Et cependant, l'écriture ne m'a pas transcendée. le style est quelque fois presque oral, peu travaillé. Ajouté au manque d'empathie que j'ai ressenti envers les personnages, et au fait qu'on voit deux fois les mêmes scènes (le voyage en calèche, l'arrivée dans la ville, la surprise de la découvrir vide…) j'ai eu du mal à accrocher à l'histoire. C'est dommage, parce qu'elle prend de plus en plus l'ampleur au fur et à mesure de la lecture. Rapidement, les deux apprentis cartographes se rendent compte que quelque chose ne tourne pas rond, et que c'est certainement à cause de troupes de mercenaires campant un peu plus haut dans la forêt. Les ambassadeurs qui les accueillent ne les traitent pas comme ils le devraient : un grand mystère plane sur les atlas (oeuvres de toute une vie !) de la bibliothèque du Sanctuaire. Peut-être même que certains seraient menacés… Mais comment est-ce possible, dans une ville qui ne connaît pas le crime ? Et comme le dit si bien Angel, les atlas sont le coeur de la ville, la raison pour laquelle elle a réussi à maintenir la paix. Tracer les frontières à l'encre plutôt qu'à l'épée. Il serait impensable que de tels ouvrages soient en péril !
Les deux protagonistes passent leur temps à s'ignorer, s'éviter, voire se nuire discrètement. Aspirant tous deux aux mêmes choses, ce sont des rivaux – tant sur le plan personnel que professionnel. Les deux courtisent la même jeune lavandière. Ils la connaissent à peine et sont pourtant obsédés par elle (surtout Angel, qui a un sérieux problème avec les filles). Ils ne tarissent pas d'éloge sur sa beauté, ses formes, sa grâce, ce qui m'a exaspérée, car ils ne la connaissent que depuis 24 heures.
Tous deux se rendent compte du manège de l'autre, et la jalousie les dévore. J'ai eu l'impression que Violaine perdait un peu son statut d'humain pour se rapprocher de celui du trophée. Charmant !
Mais il faut dire que la belle est très consciente de cette double attention et sait en jouer – gentiment.
En résumé : des concepts intéressants, une ambiance pesante bien retranscrite, mais des personnages peu attachants, presque interchangeables, et une écriture qui ne m'a pas portée.