" Les étoiles aussi sont des voyageurs du temps", ai-je songé.
Combien de ces points lumineux provenaient de soleils déjà morts? Combien d'étoiles étaient nées, dont la lumière ne nous parvenait pas encore? Si tous les soleils, à l’exception du nôtre, s'éteignaient ce soir, combien de vies nous faudrait-il pour comprendre que nous étions seuls? J'avais toujours eu conscience que le ciel était plein de mystères, mais je réalisais seulement aujourd'hui que la Terre l’était aussi.
Quand quelqu'un refuse de t'ouvrir sa porte, au bout d'un moment tu arrêtes de frapper. Tu vois ce que je veux dire ?
On s'accroche à nos contes de fées jusqu'à ce que le prix de ces croyances deviennent trop exorbitant.
Quelquefois, il suffit de claquer une porte pour se sentir mieux
- Ne le prends pas mal, ai-je dit, mais vous êtes quoi?
- On est particuliers, a-t-il répondu, l'air perplexe. Pas toi?
- Je ne sais pas. Je ne crois pas.
- Dommage.
Je venais juste de me résigner à vivre une vie ordinaire, quand des événements extraordinaires se sont produits.
En passant devant un pommier, à la sortie de la ville, elle a voulu cueillir un fruit. Même dressée sur la pointe des pieds, elle n’était pas assez grande pour atteindre la pomme la plus basse. Alors, comme l’aurait fait n’importe quel gentleman, je l’ai aidée. Je lui ai enlacé la taille et je l’ai soulevée en étouffant un grognement. Quand je l’ai reposée, elle m’a donné un petit baiser sur la joue et m’a tendu la pomme.
— Tiens, tu l’as bien mérité.
— La pomme, ou le baiser ?
Elle a ri et filé rejoindre les autres. J’étais incapable de définir ce qui se passait entre nous, mais ça me plaisait. C’était à la fois idiot, fragile et agréable.
Un vaste marécage couvert de brume s'étendait de part et d'autre du sentier : de l'herbe marron et une eau couleur thé à perte de vue, avec pour seul point de repère un petit tas de pierres ici et là. Il s'achevait brusquement au seuil d'une forêt d'arbres squelettiques. Dans le sous-bois, le chemin disparaissait sous des troncs couchés et des tapis de lierre. J'ai cru à plusieurs reprises que je m'étais perdu. [...] Passé un virage, les arbres se sont clairsemés et j'ai vu la maison surgir du brouillard, au sommet d'une butte envahie par la végétation. J'ai compris pourquoi les garçons avaient refusé de m'accompagner.
Mon grand-père me l'avait décrite des centaines de fois mais, dans ses histoires, c'était un endroit gai et lumineux, qui résonnait de cris et de rires d'enfants. La bâtisse qui se dressait devant moi avait quelque chose d'angoissant. Des branches jaillissaient de ses fenêtres brisées, des lianes dévoraient ses murs, tels des anticorps attaquant un virus. Comme si la nature lui avait déclaré la guerre, mais qu'elle s'obstinait à rester debout, malgré sont toit effondré et son évidente décrépitude.
Je n’étais vraiment pas d’humeur à faire la fête. J’ai compris que ça me pendait au nez quand mes parents ont multiplié les allusions grossières, du genre : « Ce week-end va être assommant, on n’a rien de prévu… », alors qu’on savait tous que j’allais avoir seize ans. Je les avais suppliés de ne rien organiser cette année, car j’étais incapable de penser à une personne que j’aurais aimé inviter.
Mais ça les inquiétait que je reste seul. Ils prétendaient que voir du monde avait des vertus thérapeutiques.
« Les électrochocs aussi », avais-je ironisé.
Combattre l’imagination en la confrontant à la réalité est souvent très efficace.