Notre vie se poursuivait calme, heureuse, sans heurt. Je savais qu’un jour viendrait où je serais en âge de me marier, mais je n’y songeais pas. Je savais que lorsque Bernard jugerait que ce jour serait venu, il parlerait ; il me demanderait d’être sa femme et je répondrais oui avec ferveur, avec amour. Jusqu’alors je n’avais jamais analysé mes sentiments. A quoi bon, j’avais au fond du cœur et de ma vie cette certitude. J’aimais Bernard, il m’aimait, nous nous marierions quand l’heure serait venue et nous continuerions à vivre heureux sous ce toit clément, à marcher la main dans la main à travers nos prairies.
L’appétit lui revint et en même temps son teint se colora. Ses larmes se tarirent et les sourires réapparurent sur ses lèvres. La faculté d’oubli qu’ont les enfants, aidant, je savais qu’elle ne serait bientôt plus qu’une petite fille quiète et heureuse.
Certes, le passé vivait encore dans son cœur, mais la vie avait repris ses droits.
— Tu n’as pas de peine, dis ? Cela n’altère en rien la profonde affection que je te porte. Tu es et tu resteras toujours ma petite Magali, ma compagne de jeux, mon amie… ma sœur !
Sa sœur. Il me portait une affection fraternelle et moi je l’aimais d’amour. Comme il me faisait mal, comme il me déchirait sans le savoir !
J’aurais dix-huit ans ! Je ne serais plus une enfant, mais une jeune fille en âge de se marier. Dans cette maison qui m’avait vu grandir, on me regarderait avec des yeux nouveaux. Je ne serais plus la petite Magali, la fillette sauvage aux manières de garçon, mais une vraie jeune fille assagie.
Mieux valait souffrir d’ennui que souffrir d’amour.