Ne savez-vous pas que les filles de Venise n'ont jamais voulu poser pour le nu, pas même pour le décolletage? Elles posent devant l'amour et non devant l'art. Voilà pourquoi Titien, Giorgïone, Véronèse et les autres, avaient toujours une maîtresse dans leur atelier. Leur grand art était de la prendre belle. Raffaella, Violanta, Leonora, ont posé presque pour tous les tableaux de ces très grands maîtres. Aussi leurs madones et leurs courtisanes ont toujours le même type. Dans la madone, on sent l'amour profane; dans la courtisane, on sent l'amour divin.
Mystérieuse ? elle l'est en effet, car Ziem, qui a parcouru le monde, aime le recueillement, l'intimité, — non la solitude, — et, autant par une disposition de ses appétits psychiques, que par la nécessité de son travail incessant, il a eu le soin de ne laisser sa porte s'ouvrir qu'à bon escient. Parfois cependant, des indiscrets et des curieux ont pu, par la ruse, pénétrer jusqu'à lui ; mais je ne crois pas exagérer, en affirmant que le maître, pourtant si bon, possède un secret pour déterminer les intrus à n'y plus revenir.
Il y avait donc deux courants très précis dans l'opinion : d'un côté, les gens qui s'en tenaient à leur étroite existence terre à terre et qui ne voyaient de leur temps que ce qui se rapportait directement à cette existence, et ceux qui, entraînés par le fécond élan de la pensée, par le nouvel et irrésistible essor de l'art, se sentaient attirés vers de plus libres aspirations et percevaient dans leur contemporaineté, insuffisante pour satisfaire à tout leur appétit d'idéal, la vibrante palpitation du passé.
De la terrasse, établie au sommet de l'édifice, le peintre, pendant les soirs d'automne, pouvait aller chercher un souvenir des ciels d'Orient, en regardant du côté de Suresnes et de Gourbevoie le soleil se coucher dans un irradiement d'incendie. Aujourd'hui, la rue Lepic s'est dessinée; les maisons de rapport s'alignent le long des trottoirs, et la retraite de Ziem, enserrée au tournant, a comme un air de forteresse mystérieuse.