Son père ? le fils d'un « bon à rien et d'une fainéante qui avait couché avec la moitié du village ». Sa mère ? La fille d'un épicier à la méthode infaillible pour faire déguerpir les garçons trop envahissants. Et Sheila ? L'idole d'Eric. Il a tous ses disques, écoute ses chansons en boucle, suit sa vie avec passion dans « Podium » et « Salut les copains ».
Est-ce étonnant, dans ces conditions, que le pauvre Eric ploie sous le poids des problèmes et que sa vie soit une suite de désillusions ?
Le titre me faisait espérer une lecture légère et amusante. Ce fut loin d'être le cas.
Cet auteur, je n'en avais jamais entendu parler. Aussi ai-je cherché quelques renseignements à son propos. J'ai appris qu'après avoir écrit des pièces de théâtre, il se lançait dans un premier roman. Or, le personnage principal s'appelle comme lui,
Eric Romand. Il ne s'agit donc pas d'une fiction. Cela me met mal à l'aise. Difficile de prendre de la distance par rapport au récit, vraiment très intime. Et pourtant, ce serait bien nécessaire tant les protagonistes me paraissent antipathiques et rebutants.
Les grands-parents, pour commencer. Nous ne connaîtrons que les maternels. le grand-père nomme l'entourage de son gendre « la famille adverse ». On s'en doute, ce n'est pas le grand amour. Pour chacun, il a une critique bien sentie. Seules les deux soeurs sont plus ou moins acceptées, et encore. Georgette serait bien sympathique si elle n'avait pas « épousé un Arabe » (lequel ne sera jamais appelé par son nom), car, dans cette aimable famille, on est terriblement raciste et on utilise des qualificatifs pleins de mépris pour désigner tout ce qui n'est pas franco-hexagonal. Ce n'est pas tout. Cet homme charmant a l'habitude de battre comme plâtre tous les « mâles » qui approchent sa maison, que ce soient les chiens qui rôdent autour de Belle ou les garçons qui fréquentent sa fille .
Le père est un coureur de jupons. Il ridiculise sans arrêt son fils qu'il affuble de sobriquets dégradants. C'est vrai, il emmène souvent Eric avec lui. Mais non pour partager avec son enfant des activités amusantes. Eric lui sert d'alibi quand il rencontre la femme blonde. Il assiste à d'interminables parties de boules ou de cartes qui l'ennuient mortellement.
Chasseur passionné, le père adoptera un chien pour l'accompagner dans ses battues (son fils est beaucoup trop sensible, une vraie femmelette!), mais il l'abandonnera sans scrupules dès qu'il n'en aura plus besoin.
La mère est loin de défendre son fils. Ni tendre, ni maternelle. Lorsque, devenu adolescent, il manifeste le désir d'étudier l'architecture, elle se récrie : « sept ans avant de gagner ta vie ! Tu te rends compte ! » Elle lui impose donc le métier de coiffeur, plus rentable à brève échéance.
Il n'est pas étonnant que, dans une famille pareille, Eric cache soigneusement son homosexualité, inventant une colocation avec une fille imaginaire, se faisant accompagner, lors des repas de famille, par une copine qui lui sert d'alibi. La manière dont ces gens-là parlent des homosexuels est tout bonnement scandaleuse.
Le divorce des parents se passe mal. Ils se partagent les enfants. La mère prendra Nadine, Eric ira chez son père, dont la nouvelle compagne ne voit pas d'un bon oeil l'arrivée de cet indésirable.
Après tout ce qu'il a enduré, on peut imaginer qu'Eric, au moins, sera gentil avec les autres. Eh bien non. Bien qu'il ait souffert, enfant, des quolibets de ses condisciples brocardant son embonpoint, il n'hésite pas, lorsqu'il se transforme en adolescent séduisant, à faire subir à un autre les avanies qui l'avaient tellement traumatisé.
Aucun personnage attachant. Pas moyen de se consoler en pensant que l'auteur les a délibérément noircis pour les besoins de son intrigue. Car d'intrigue, il n'y en a pas.
Eric Romand ne s'est pas donné la peine de relier entre eux les souvenirs de sa jeunesse. Il nous les déverse tels des fragments sans rapport les uns avec les autres, sans souci de la chronologie.
Alors, non, je n'ai pas aimé ce livre.