Le grand frère

Je faisais l’amour par désespoir, sans passion, comme les animaux. Il manquait quelque chose. Je me retenais, j’étais barré, je ne pouvais me laisser aller.Et c’est une misère de ne jamais être vraiment soi-même, de ne pouvoir se donner complètement à rien ni à personne et, du coup, de ne rien recevoir,d’être âprement confiné au creux de soi-même et de s’apercevoir qu’on ne vit qu’à moitié – jusqu’au jour où on n’est plus qu’une coque vide, où on fait machinalement les gestes de la vie et où on se
demande, comme je le faisais ce soir-là, s’il n’est pas trop tard pour tenter d’être autre chose qu’un zombie.

Tout était beau ici, les palmiers, les jasmins, le sable, le ciel semi-tropical, la mer déchaînée. Beau et corrompu jusqu’à la moelle. Mais personne ne
jugeait personne. Il fallait ne compter sur rien, ne dépendre de personne : prendre les choses comme elles venaient, tirer au mieux parti de ce qu’on
trouvait. Se faire une vie.

Quand on attend une pareille occasion depuis treize ans, on devrait en profiter quand elle se présente. La rancune, ça ne se raisonne pas. On la trimbale dansson ventre, c’est comme une carcasse pourrie qu’on héberge, ça grossit, ça enfle, et il faut enfin qu’on s’en débarrasse.

C’est pas mal d’être jockey, remarque, il y en a qui gagnent plein de fric, mais tu serais pas comme tout le monde. Et, dans la vie, si on n’est pas comme tout le monde, on passe pour un dingue.

Si nous n’avions pas le temps pour nous permettre de râler, il y aurait beaucoup plus de violence et de crimes dans le monde. Ça vous soulage, une rogne par jour, ça vous garantit contre les ulcères.