Ca commençait très bien… Un monde un peu étrange peuplé de personnages aux caractéristiques fantaisistes (sauf le narrateur, un peu falot), des livres qui suscitent désirs et complots, des sourires florentins, des querelles byzantines, un langage délicieusement ciselé, des appartements encombrés de livres et d'objets, peuplés de chats, perruches et perroquets… J'ai dévoré les 500 premières pages, impatiente d'avancer dans l'intrigue, découvrant avec bonheur les histoires emboîtées les unes dans les autres, des personnages extravagants, la présence de Barcelone… Il y avait longtemps que je n'avais autant arraché au quotidien des moments de liberté pour reprendre ma lecture et je ne me suis pas attardée à chipoter sur le manichéisme qui préside à la caractérisation des principaux personnages.
Pressée de voir les mystères s'éclaircir (même si certains commençaient à devenir prévisibles au fil des pages), j'ai entamé avec gourmandise la partie des révélations (Nuria Monfort, Mémoires de revenants). Et là, la déconvenue totale ! C'était donc cela : un médiocre mélo très XIXe (siècle, pas arrondissement ^^). Jeunes gens énamourés, père sévère, villa gothique, amours inconsciemment incestueuses, enfants illégitimes, naissance clandestine, tombeau romantique, tout y est… Tout cela dans un style ampoulé qui occasionne tout de même de bons fous rires, c'est toujours ça de pris ! Au long de cet amalgame (fusion de roman gothique, de drame lacrymal, de romance pour midinette et de naturalisme à la
Zola) j'ai nourri l'espoir que l'auteur s'amusait avec les codes de ces différents genres littéraires, mais je n'en suis sûre car cela ne semble pas maîtrisé. Alors si ce n'est pas du second degré, je suis franchement dérangée dans cette partie par la façon qu'a l'auteur masculin de faire s'exprimer une narratrice féminine : si c'est l'idée qu'il se fait de ce qui se passe dans la tête d'une femme, là aussi bonjour les clichés à deux balles.
Mais mon calvaire n'était pas fini. Il fallait encore ingurgiter quatre parties :
1.
L'ombre du vent : le summum du ridicule dans une scène granguinolesque où Carax, soudain doté de la force de Hulk, ratatine le méchant dans une débauche d'hémoglobine.
2. Post Mortem : on la sentait venir, la near death experience…
3. Les giboulées de mars : un épilogue totalement inutile. Pourquoi le romancier s'est-il senti obligé, en comptable consciencieux, de nous raconter ce que devenaient tous les personnages ? Quel inventaire fastidieux !
4. Dramatis personae : épilogue de l'épilogue.
J'avoue, à force, je commençais à avoir peur de tourner les pages, me demandant si ce livre allait enfin finir par finir !
Ultime faiblesse, le livre a été écrit comme un scenario dans le lucratif espoir d'être adapté au cinéma. Je n'aime pas ce genre d'approche mercantile dans la littérature. Comme chez
Dan Brown par exemple. Un livre n'est pas un scenario, les gars ! Ecrivez des romans, des vrais, s'ils sont bons un scénariste s'en emparera.
Malgré tous ces défauts, je garde un réel bon souvenir de la première partie, qui offre une lecture de pure distraction, menu plaisir que je ne boude pas. Ce livre, il est peut-être comme le bonheur : le chemin est plus important que le but. Avant la grande déception des révélations et de la suite interminable, ce cheminement mystérieux était très agréable. Et je garde le souvenir attendri de différents personnages extravagants, comme l'employé de la morgue qui a appris à ses perruches à chanter la marche funèbre, ou ce vieux monsieur qui dit la bonne aventure aux demoiselles en se faisant payer d'un baiser…