Citations sur Aux frontières de l'Europe (47)
Su ma carte "maison", je n'ai pas noté les États modernes, mes les anciennes provinces frontalières englouties par la géopolitique. Ecoutez-moi ces noms. "Botnie", où le fond de la mer Baltique vient mourir sur la toundra. "Carélie", un labyrinthe de fleuves entre Russie et Finlande. "Livonie", couverte de lacs et de sapins. Entendez-vous comme il sonne bien ce mot de "Courlande", terre de lagunes e de dunes battues par les vents ? Cherchez sur l'atlas la Prusse orientale, le Latgale et la Mazurie : rien que de les nommer, on en a des frissons. Et que dites vous de la Polésie, la ligne de partage des eaux la plus plate du monde.
C'est au bord de ce lac, raconte Mariusz Wilk, que l'univers des constructeurs de pietchka et le peuple de bûcherons taciturnes se sont rencontrés pour se définir les uns les autres et produire de fascinantes créations bâtardes. La Carélie: si tu ne l'as pas vue, continue Mariusz, tu ne peux pas comprendre ce que c'est que cette frontière de forêts, de lacs et port rationnel et en même temps est au cœur d'un poème épique qui a marqué l'histoire, exactement comme la légende de Gilgamesh en Mésopotamie. A Noknavolok, un village au nord, sur notre frontière, il y a une vieille, une certaine Sandra Remshu, qui est encore capable de chanter la saga dans la langue originale. C'est peut-être la dernière, dans toute la Carélie, y compris la Finlande."
p.142
"Entre-temps, est apparue au loin une trinité de cheminée. C'est Nikel, l'incomparable Nikel, cité industrielle consacrée par Staline à cet unique dieu minéral. Mussolini, lorsqu'il fondait des villes minières, ajoutait au moins une désinence; le charbon, en italien carbone, donnait naissance à Carbonia. Ici, dans les espaces arctiques, on a l'impression que c'est la table des éléments de Mendelyev, qui jouit désormais de pouvoirs totalitaires sur les hommes. Nikel est un désastre écologique qui s'annonce par des montagnes de détritus, des moignons d'arbres, une toundra qu'on dirait dévorée par un énorme lance-flammes, des grands immeubles autour des usines et aussi par les épouvantables cimetières, au milieu des arbres morts, avec les pierres tombales encerclées de petites grilles bleues, irréelles, une pour chaque mort. L'unique présence humaine lors de cet enfer se trouve là, au cimetière, avec une foule de petits hommes voûtés autour de leur proches, sacrifiés au dieu de la chimie. Des visages ouzbeks, mongols, caucasiens. Une déploration rampante qui se prolonge, même après les années de la Kolyma."p.62/63
"C'est au bord de ce lac, raconte Mariusz Wilk, que l'univers des constructeurs de pietchka et le peuple de bûcherons taciturnes se sont rencontrés pour se définir les uns les autres et produire de fascinantes créations bâtardes. La Carélie: si tu ne l'as pas vue, continue Mariusz, tu ne peux pas comprendre ce que c'est que cette frontière de forêts, de lacs et port rationnel et en même temps est au cœur d'un poème épique qui a marqué l'histoire, exactement comme la légende de Gilgamesh en Mésopotamie. A Noknavolok, un village au nord, sur notre frontière, il y a une vieille, une certaine Sandra Remshu, qui est encore capable de chanter la saga dans la langue originale. C'est peut-être la dernière, dans toute la Carélie, y compris la Finlande."
p.142,
Je viens d'une terre de mer, de rocs et de vent . Pour moi, c'est plutôt une base qu'une ville,Trieste , agrippée à l'extrémité septentrionale de la mer Méditerranée, est mon refuge , un lieu que Dieu se complaît de temps en temps à touiller avec sa grande louche , déchaînant une tempête d'air et d'eau que l'on appelle la "Bora" , un vent furieux qui souffle de la terre.
Ainsi quand les frontières ont commencé à disparaître et que la rhétorique de la mondialisation a plongé dans la crise le sentiment d'un Ailleurs, lentement, par esprit de contradiction, j'ai senti croître en moi la nostalgie d'une vraie frontière, comme celles d'autrefois, avec les barbelés, les regards torves, les bagages passés au crible et le silence tendu devant l'homme en uniforme qui tenait votre passeport. Oui, il fallait faire un grand voyage le long d'un limes, pour reprendre le terme latin, c'était cela le désir inexprimé que l'ami Moni -barde strident et transfrontalier- avait tout simplement rendu explicite et désormais impossible à remettre.