À la lumière de nos jours

Assise sur une chaise en fer, elle se laissait emporter par l'histoire de Consuelo, cette héroïne de Georges Sand, une jeune cantatrice vénitienne envoyée en Bohême. Arthur prit l'habitude de la rejoindre et, à sa demande, elle lui fit la lecture à voix haute. Tous deux se passionnèrent pour les péripéties de Consuelo à travers l'Europe du XVIII° siècle et pour son amour contrarié par le fossé social qui la séparait de l'homme aimé.

- Les chanteurs réussissent à émouvoir le public rien qu'avec leurs cordes vocales. L'Air de la reine de la nuit m'a subjuguée. Ce soir-là, j'ai su que je voulais devenir soliste et me produire sur scène. J'en avais les larmes aux yeux tant cette certitude brûlait en moi.
- C'est beau ce que tu dis.
- Il faut le voir, pour le comprendre, déclara-t-elle avec flamme. Moi, c'est ma raison de vivre. Un jour, Arthur, je t'emmènerai à l'opéra.

Les rayons du soleil couchant flamboyaient dans des tons orangés, et ce spectacle si apaisant déclencha en elle la certitude qu'ici, en plein cœur de sa campagne, il ne pouvait rien arriver de mauvais. Au loin, les grenouilles entamaient leur concert nocturne, disputant la partie avec le chant des grillons. Seul le doux clapotis de l'eau leur faisait écho. Cressigny était un tel havre de paix !

Léontine lui indiqua qu'Arthur, à l'instar de bon nombre d'enfants comme lui, avait été placé de ferme en ferme depuis son plus jeune âge. Et il avait fugué à plusieurs reprises.
- Ces pauvres gosses sont sans cesse brimés. On les fait travailler comme des esclaves pour pas un sou ! Au moins, il est bien tombé avec nous. On ne le bat pas.

Suzette s'attarda néanmoins quelques secondes supplémentaires sur le perron pour respirer le parfum de son terroir. L'odeur si caractéristique des champs prêts pour le labour et celle, plus âcre du fumier qu'on avait remué quelques heures plus tôt, se mélangeaient pour lui rappeler que c'était ici qu'elle avait ses racines. Bien qu'ayant grandi à Paris, elle s'était très vite montrée réceptive à cet amour de la terre qu'Eugénie avait su lui transmettre.

Depuis que la zone avait été rasée des années plus tôt, l'oncle Théodore et sa femme logeaient dans une HBM, ces habitations bon marché que l'on avait construites à la place.

Le paris-brest était son dessert favori et son père le réussissait à merveille. La couronne en pâte à choux était à la fois tendre et croustillante, quant à la crème mousseline pralinée, c'était un bijou d'onctuosité et de légèreté.

Sous les rayons flamboyants du soleil couchant qui inondaient la pièce, il m'aida à couper les fruits en fines lamelles et je les fis revenir avec un peu de vanille. Une fois la préparation prête, j'enfournai le tout et poussai un immense soupir, comme si je venais de réaliser l'ascension de l'Everest.

Je coupai machinalement le beurre en petits morceaux, ajoutai la farine, du sucre, un peu de sel et un demi-verre d'eau. Mélangeant l'ensemble pour former une boule, je ne vis même pas mon père entrer à son tour dans la pièce.

-"Vivre, c'est affronter la peur, Suzette. Alors, debout !" Elle ne se laissait démonter par rien ni personne.