Paul Saint Bris nous immerge dans le Musée du Louvre, rappelle la mission des conservateurs : « prendre soins des oeuvres ». Mais Aurélien, « gardien de mémoire » est confronté à un dilemme : restaurer ou non Mona Lisa, projet ajourné par le précédent président-directeur. Selon lui, l'idée s'avère dangereuse. N'est-ce -pas sacrilège de vouloir alléger les vernis ? On suit les initiatives de Daphné, directrice des relations extérieures dynamique qui veut booster la fréquentation du lieu. Sa demande d'audit va-t-elle déboucher sur des mesures innovantes ?
L'auteur soulève le questionnement des responsables : deux écoles s'opposent quant à la restauration d'oeuvres d'art. Chacune avec ses propres arguments. Suspense pour le lecteur. Que veulent-ils faire subir « à Monna Lisa » ? « une régénération » ?
Lors d'une réunion pour statuer enfin sur le sort de la Joconde, patrimoine inestimable, deux clans vont s'affronter, déclenchant les hostilités. Des passionnés aussi bruyants que ceux de l'Assemblée Nationale ! Dans cette cacophonie, Aurélien, le conservateur, propose un vote à main levée ! Les jeux sont faits.
On suit le parcours d'Aurélien, ses conquêtes amoureuses de jeunesse, sa rencontre avec Claire, son épouse (famille recomposée), l'influence de la mère sur les goûts du fils.
Paul Saint Bris se fait portraitiste hors pair et livre une impressionnante galerie de protagonistes avec moult détails sur leur physique, leur tenue vestimentaire.
Ainsi il pointe le fossé de génération entre le conservateur et Zoé ( la fille de Claire), qui le trouve ringard. L'un parle de ses cahiers d'images, Zoé de Tik Tok, de Tumblr...
Le chapitre qui met en valeur la beauté, le besoin de passer un moment en tête-à-tête avec un tableau, n'est pas sans faire penser au roman de
David Foenkinos :
Vers la beauté.
L'auteur rend compte de divers métiers : de ceux chargés de restauration ,déclinant un vocabulaire de professionnel, toutefois accessible, concernant les techniques.
Il évoque aussi les métiers subalternes, relatifs à l'entretien, cependant de première ligne. C'est alors qu'entre en scène Homéro qui déploie un ballet sublime, une chorégraphie inventive avec son autolaveuse. Les enregistrements visionnés fascinent et affolent , donnent des frissons, quand les oeuvres sont frôlées, pour ceux garants du patrimoine comme Hélène. Ces passages cocasses apportent du piment! de plus ils dévoilent la naissance d'une idylle. Liaison dangereuse !
Dans ce récit foisonnant, le narrateur rappelle les réactions qui ont fait polémiques lors de l'installation des colonnes de Burren ou de la pyramide de Pei.
Beaucoup de digressions où sont abordés l'amour, la beauté, le temps qui passe, le wokisme, « la cancel culture »… le narrateur soulève également la question de la restitution des oeuvres, comme,par exemple, les marbres du Parthénon. Et pourquoi pas "la dame florentine"?
Il pointe la folie qui s'empare désormais des touristes à partager sur les réseaux sociaux leurs selfies lors de leurs visites. Au lieu de savourer un tête-à-tête avec la pièce contemplée. Il décline avec finesse une satire des dérives de l'époque.
Si la pléthore de mots anglais ( nudge, cringe, male gaze...) peut insupporter, le récit plein de suspense emporte le lecteur, avide de connaître la destinée de la Joconde. D'autant plus que la quête du restaurateur idoine conduit Aurélien , « Aureliano », à Florence, capitale toscane, épicentre des arts ( madones célèbres).
L'auteur, qui de toute évidence connaît le milieu/l'univers artistique a réussi avec brio à nous faire consulter sur le net les maints tableaux cités. Il nous a, par ailleurs, donné envie de venir musarder et admirer les tableaux et statues du Louvre, après nous avoir fait déambuler dans les différentes parties (pavillon Mollien, aile Denon, hall Napoléon..). Mais ne rêvons pas, il y a peu de chance de croiser Homéro et son autolaveuse dans une de ses chorégraphies étourdissantes !
Paul Saint Bris signe un premier roman érudit, époustouflant, doté d'humour, qui nous immerge dans les coulisses du Louvre et offre en guise de dénuement un twist des plus surprenants. L'Italie en filigrane : « Vers une promesse de joie ».
Pour info :
Jacques Perry- Salkow a partagé cette anagramme pour le Magazine littéraire : «
L'allégement des vernis /L'alignement des lèvres » et on sourit !
Par ailleurs, le sort de la Joconde, entre les mains de l'écrivain, convoque celui que Serge Joncour lui avait réservé dans un sketch de l'émission des Papous !
Emission des Papous dans la tête sur France Culture du 2 décembre 2017 : Mauvais genre : La lettre de détestation de Mona Lisa par
Violaine Schwartz et la réponse de Léonard de Vinci, alias Serge Joncour.