Enfant, je n'aimais pas
le Petit Prince.
Ce livre qu'on nous obligeait à lire – je supporte mal d'être obligée à quoi que ce soit, sauf si je l'ai décidé – n'avait tout simplement pas de sens.
Comment pouvait-on s'émerveiller sur ce gamin qui n'en faisait qu'à sa tête et dérangeait tout le monde ? Ils – les grands, enfin très grands, les adultes quoi… – s'extasiaient sur l'imagination, la liberté, que dis-je la sagesse d'un gamin, qu'ils auraient fermement désapprouvée et condamnée chez n'importe quel véritable enfant en général, et chez moi en particulier. Ou alors c'était encore un coup des garçons à qui ont plus de permissions que les filles ?
Cette inimitié s'est muée en franche détestation vers l'âge de sept ans, lorsque ma maîtresse décida que chacun des élèves de la classe apprendrait un passage de son choix dans l'oeuvre de
St Exupéry. de tous les devoirs qu'il était possible d'avoir, je crois que la récitation était celui que j'abhorrais le plus.
Comme si cela ne suffisait pas, le… “passage de mon choix” devint sur intervention maternelle le… “passage du renard”. Quoi ? Mais pourquoi ? Je n'aurais jamais “librement” choisi un passage aussi long !
Enfin, ultime supplice, il fut décidé que comme j'ânonais le texte – à peu près comme n'importe quel gosse ânonne n'importe quel texte appris par coeur sans doute ? – je devrais le réapprendre en écoutant un disque du Petit Prince dit par Gérard Philippe – l'idole de ma mère… – et le dire comme lui !
C'est sans doute là que la détestation s'est muée en haine farouche et sans appel.
De la récitation en elle-même, je n'ai gardé aucun souvenir. Il paraît que mon auditoire était sous le charme et n'en revenait pas. – Ca c'est la version de ma mère. Je pense qu'il serait plus sage de remplacer “auditoire” par “maîtresse”, à l'exclusion des élèves de la classe… Que j'avais eu une très bonne note. Tu parles ! Probablement ai-je été mise au banc un moment par les autres monstres pour cause de fayotage !
Du Petit Prince, je ne voulais plus entendre parler, et je remisais le texte dans un recoin oublié de ma bibliothèque pour ne plus y toucher.
Mon avis sur le sujet est resté le même jusque vers l'âge de 20 ans.
C'est lors d'une colonnie d'été où j'étais lingère que j'exhumais le bouquin tant exécré, car l'une des monitrices avait décidé de monter une pièce de théâtre avec les enfants, et le texte qu'elle avait choisi… Est-ce vraiment la peine de le préciser ? Pauvres gosses !
Mais la demoiselle manquait d'exemplaires de l'oeuvre. Elle demandait si d'aventure quelques spécimens pourraient lui être prêtés. Je dénichais donc le livre au fond de mes étagères – ainsi qu'au fond de celles de ma soeur pour faire bonne mesure – et les lui confiais. Contre toute attente, elle les rendit en fin de mois.
J'assistais au spectacle qui fut donné. Surtout pour faire nombre avec d'autres personnes du lieu, et soutenir les petits monstres afin qu'ils n'aient pas l'impression d'avoir travaillé pendant les vacances pour rien. C'est là que quelque chose s'est passé. Je ne saurais dire quoi. Pourtant je suis sortie de cette représentation en me disant que – peut-être – quelque chose m'avait échappé dans ce texte, et que je pourrais – notez le conditionnel – trouver intérêt à sa relecture.
Je parcourai donc le texte – plutôt que le relu – trouvai effectivement du charme à certains passages – dont le fameux renard – et, admettant mon erreur, l'oubliais dans un coin.
Ce n'est qu'il y a quelques mois que, pour une raison inconnue, j'éprouvai l'envie de le relire. Et là… Que dire sinon que ce fut pure magie ? Ces lignes que j'avais tant détestées, me semblaient soudain terriblement attachantes, pleines de mélancolie et de sagesse.
La sagesse populaire enseigne que souvent l'on brûle aujourd'hui ce qui était vénéré hier. C'est avec plaisir que je la contredis aujourd'hui en chérissant ce que j'ai honni.