H. A. Lorentz (1853-1928) : La naissance de la physique moderne

Quelques mots concernant la première partie, consacrée à la vie de Lorentz, très fluide à lire (la suite décrit ses travaux scientifiques). Ce physicien est moins connu que d'autres car, je cite, il « s'est trouvé dans une situation un peu analogue à celle de son compatriote Huygens dont l'oeuvre, immense également, a été – elle aussi – occultée par deux géants ; Galilée et Newton. Ainsi les travaux de Lorentz se sont trouvés placés à une époque intermédiaire entre Maxwell symbolisant « l'assaut » et Einstein symbolisant « la gloire ». »

Suit la vie de Hendrik Antoon Lorentz physicien, écrite de façon vivante et ponctuée de nombreuses citations et témoignages de gens qui l'ont connu. Néerlandais né en 1853, doué d'une grande mémoire et parlant parfaitement plusieurs langues, clair et précis dans ses analyses et l'exposition de ses idées, doué de diplomatie, invitant à ne pas s'imposer mais à servir, on y apprend qu'il a fait faire de grands pas à la théorie de l'électromagnétisme et à la physique mathématique, jeté les bases de la relativité restreinte (en particulier ses équations de transformation baptisées de son nom par Poincaré), et présidé les Conseils de Physique Solvay en 1911 à Bruxelles (puis en 1913, 21, 24, 27), événement majeur qui réunissait certains des plus grands esprits scientifiques de l'époque pour discuter des développements récents en physique.

A ce sujet, ouvrant le premier Conseil Solvay (où furent discutés tous les aspects de la nouvelle et encore mystérieuse théorie des quanta), Lorentz disait : « Quel sera le résultat de cette assemblée ? Je n'oserais le prédire, ne sachant pas quelles surprises nous sont réservées. Mais, comme il est prudent de ne pas compter sur ces surprises, j'accepterais comme très probable que nous ne contribuerons que peu au progrès immédiat. En effet, le progrès de la science se fait plutôt par l'effort individuel que par les réflexions faites par un congrès ou par un conseil, et même il est très possible que, pendant que nous discutions un problème, un savant solitaire en un autre endroit du monde en trouve la solution. »

Lorsqu'une telle intelligence annonce humblement cela à une équipe pourtant constituée des plus grands esprits du moment, vous imaginez bien combien on peut rester sceptique face à tous ces séminaires improvisés et autres séances de brainstorming obligées dont l'automatisme à la mode nous bourre encore les agendas en entreprise. Certes "L'intelligence collective est un effort surhumain" disait Céline…

Admirateur de notre Fresnel (« des temps anciens » sic), lauréat du prix Nobel de physique en 1902, Lorentz fut également professeur à l'Université de Leyde, et a joué un rôle important dans la jeune Société des Nations (SDN, préfiguration de l'UNESCO). En plus de remarquables réalisations en physique théorique, ingénieur pragmatique il a aussi travaillé sur les calculs pour renforcer la digue d'Afsluitdijk aux Pays-Bas, projet majeur de son temps, visant à protéger les terres basses des inondations et à créer de nouvelles terres agricoles. C'est le genre d'esprit qui, lorsqu'un papier de recherche lui était soumis, en lisait l'excec summary, prenait un papier pour y développer sa propre solution, avant de la confronter avec la conclusion dudit papier…

Savant touche à tout, admiré de ses pairs, et particulièrement d'Einstein (de 26 ans son cadet), le décès de Lorentz, en 1928, déclenche un hommage national. Toute la Hollande est profondément attristée, et sa fille dit avoir « vu moi-même des femmes du peuple à Leyde, aussi bien que des hommes de la bourgeoisie, qui ne pouvaient pas contrôler leurs émotions ». le décès de quel genre de célébrité, je vous le demande, anime encore l'émotion des foules aujourd'hui ? Un chanteur rock ? un footballeur ? Mais on trouvera encore des gens pour contredire ce lamentable constat en dénigrant le passé (inconnu d'eux), comme l'"homme formé par le moralisme le plus étroit, finit par se trouver (...) dans la situation paradoxale d'un athée qui injurie Dieu" (Bernanos). Car il y a 2 façons de s'égaler aux grands : s'élever à eux, ou bien les rabaisser. Aujourd'hui on préfère la solution de facilité : le tabula rasa du cracheur dans la soupe. Où en est notre école, quand, au XIX, un Fustel de Coulanges, admis à l'École normale supérieure en 1850, se trouve nommé 6 ans plus tard (à 26 ans et bientôt agrégé des lettres), j'allais dire "simple" professeur de seconde au lycée d'Amiens ! C'était pas beau ça ? Bref…