Les trois premiers volumes étaient d'une finesse et d'une drôlerie brillante, avec une progression parfaitement maîtrisée dans l'évolution de la famille et de la perception de
Riad Sattouf à l'égard de son père, et la lente mais inéluctable désillusion et prise de conscience que cet homme qu'il admire sombre petit à petit dans la médiocrité et le durcissement religieux, alors même qu'il l'aime toujours, et que sa mère tente encore de maintenir à flot leur couple et leur famille.
L'histoire a toujours eu un ton globalement tragi-comique : très souvent tendre, drôle et malin pour raconter son enfance, à cheval entre le quotidien habituel et les situations surprenantes/aberrantes/décalées d'une vie dans un village reculé de Syrie, et une prise de conscience à mesure qu'il grandit de l'antisémitisme et du racisme profondément ancré de son père, et sa chute lente vers un fondamentalisme religieux qu'il dénonçait dans sa jeunesse, qui ruine progressivement le couple de ses parents au gré des mensonges, des promesses non tenues, du fossé culturel qui s'aggrave et des souffrances de sa mère. C'est particulièrement intelligent, subtil, montré par petit morceau, avec une narration exceptionnellement maligne par sa sobriété et la pertinence de ce qu'il montre et laisse sous-entendre. Ça vaut la peine de tous les lire à la suite pour voir l'évolution aussi ahurissante que tragique de sa famille, qui reste pourtant soudée et qui tente s'en cesse de tenir le coup. Et profiter en prime de la narration très drôle et agréable de
Riad Sattouf sur cette enfance inhabituelle mais globalement heureuse et agréable.
Le quatrième volume est plus long, et revient sur la période entre les 9 et 14 ans de
Riad Sattouf, et le coup de grâce apporté au noyau familial avec le départ de son père pour l'Arabie saoudite et le refus catégorique de sa mère de le suivre.
Le ton est plus sombre, même si c'est toujours aussi fin, malin, drôle et plein de détails incongru et intelligent sur son quotidien qui évolue à mesure qu'il grandit. Sauf qu'il n'y a presque plus jamais de repos : les précédents volumes alternaient globalement entre les moments de quotidien et ceux de crispation entre ses parents et l'attente de sa mère. Là, la tension, la crispation et l'incompréhension est permanente. le discours de son père se durcit, ne ralentit plus le rythme, et sa mère a cessé de l'accepter. Elle reprend la main alors même que son mari n'arrête plus sa dégringolade, et qu'il échoue systématiquement désormais à la rallier à ses espoirs, ses rêves et ses promesses jamais tenues.
Le bouquin s'achève par un coup de fusil abominable qui lève d'un coup le voile sur ce que
Riad Sattouf voulait, en vérité, aborder depuis 6 ans avec cette histoire. J'ai lu dans les dernières interviews qu'il a donné que c'était un élément de sa vie qu'il n'avait jamais abordé avec quiconque, qui est resté dans sa famille, et on comprend pourquoi. le "coup d'état" de son père, comme dit dans la quatrième de couverture, qui brise définitivement l'intégralité des gens autour de lui, ses fils, sa femme, les familles, et qui prend un sens à glacer le sang après ces quatre volumes, d'autant plus alors que la narration a maîtrisé parfaitement le ton de la BD d'un bout à l'autre, rendant cette conclusion d'autant plus difficile : c'est la terre qui s'ouvre en deux au milieu d'un bunker où on était malheureux mais que l'on croyait sûr.
Bref, après ce long post, en gros : lisez tout, et vivement le dernier tome qui conclue cette longue histoire de famille, brillamment racontée et qui restera un classique du roman graphique.