Décidément, j'aurais tardé à connaître la plume d'
Eric-Emmanuel Schmitt, mais tout vient à point et ça valait le coup d'attendre. Il me donne l'impression d'écrire à la poudre d'or, les mots scintillent sous mes yeux, prennent vie, il y a une aura magique unique dans sa poésie. Même lorsqu'il emploie des mots crus et grossiers ils sentent la rose. Je suis subjuguée.
Alors l'histoire… On commence chronologiquement, avec Anne, qui vit à Bruges. Je me suis immédiatement identifiée à cette jeune fille. Elle vit en communion avec la nature, écoute la Terre, le chant des oiseaux, et parvient à une forme de communication animiste. Je suis comme Anne, j'aime sentir la Terre vibrer sous mes doigts et l'écouter. Elle aura des soucis, parce qu'on est au 16è siècle, et même à l'abri dans un béguinage où les femmes vivent en communauté sans être religieuses, il est mal vu de ne pas croire en Dieu, ou du moins pas tel qu'on lui a enseigné. Elle écoute la Terre, pas Dieu.
Ensuite il y a Hanna. Hanna est une jeune femme du début du 20è siècle vivant à Vienne, dans la haute société. Elle est mariée à Franz, l'homme le plus charmant du monde, qui la comble. du moins, en apparence. Car Hanna a le sentiment de faire fausse route. Elle essaie d'être ce qu'on veut qu'elle soit, mais au détriment de ce qu'elle est véritablement : une femme qui se veut libre, sans avoir à obéir aux convenances et cacher ses opinions pour ne pas heurter la sensibilité des bourgeoises.
Et enfin, Anny, l'actrice hollywoodienne des années 2000. Jeune, riche, belle, mais accro à l'alcool et à la drogue. Anny qui sera obligée de passer par une phase de désintoxication, et qui va se rendre compte elle aussi qu'elle en a assez d'être prise pour ce qu'elle n'a pas envie d'être, mais qu'on l'a contrainte à paraître. Son agent, une teigne pas possible, qui sous ses airs bienveillants ne pense en fait que carrière et gros sous. Peu importe qu'Anny soit malheureuse, tant qu'elle fasse parler d'elle.
Vous l'aurez noté, les trois femmes ont un prénom quasi identique. Chacune est le miroir des autres dans le sens où à un moment donné elles se sont affranchies des conventions pour n'exister que pour elles-mêmes, selon leurs idéaux. Et j'ai trouvé ce procédé absolument fascinant. Trois histoires complètement différentes dans la forme, mais dans le fond, il y a une cohérence. Et ce qui est très fort, c'est que j'ai autant adhéré aux trois histoires, et donc aussi heureuse de retrouver l'une ou l'autre à chaque nouveau chapitre.
Un fil conducteur dans ce roman : le miroir. le miroir brisé lors de la préparation du mariage d'Anne, qui scelle son choix de partir. le miroir qui renvoie à Hanna son ventre qui refuse de s'arrondir. le miroir dans lequel Anny voit une « pute », et celui dans lequel elle se vautre devant tout le monde. Je ne vais pas toutes les relever mais cette occurrence apparaît souvent, et à des moments-clés. Il y aussi le miroir psychologique, entre ce qu'on est et ce qu'on reflète, et la double vie menée par deux des protagonistes à certains moments…
Par ailleurs on retrouve un thème cher à l'auteur me semble-t-il : la psychanalyse. Il en était déjà beaucoup question dans
La part de l'autre. Ici c'est avec Hanna que le thème revient, logique, puisque sa génération assiste à l'essor de ce nouveau mode de soin, pour
la guérison de l'âme. Et encore une fois c'est très bien traité, de façon intéressante, sans lourdeurs. Passionnant !
J'aurais encore bien des choses à dire tant ce roman m'a époustouflée, tant je me suis attachée et identifiée à chacune de ses héroïnes. Mais si vous êtes arrivés jusqu'ici c'est déjà bien, je ne vais pas abuser 😉 Sachez en tout cas , si vous vous posez la question, que ces trois destins convergent vers la même direction ^^
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