Je n’ai pas vu mon père le jour de ma naissance. Aux yeux d’un physicien de renom, l’apparition de la comète de Halley est un événement autrement plus marquant que la venue d’un braillard dans la ville de Zurich. Comment rivaliser avec un astre ? Je m’emploie à résoudre cette question. Je suis né à Zurich, j’ai vécu à Zurich, je mourrai à Zurich. Je tourne dans la ville sans trop m’éloigner, comme lié par une force invisible. Je serai la comète de Zurich.
Porter un illustre patronyme peut être considéré comme une chance. On croit que la gloire rejaillira sur soi. On se trompe lourdement.
Je suis persuadé que les hommes qui acceptent entièrement les lois existantes peuvent vivre bien, se hisser à de hautes fonctions, triompher des obstacles, mais ils ne produiront jamais rien de grand.
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J’ai aussi décidé d’arrêter avec l’idée de poursuivre les études de médecine. J’ai rencontré les psychiatres. Ce sont des ignorants prétentieux. Ils croient avoir la science infuse. Moi, j’ai la conscience confuse. J’en connais plus qu’eux sur ma question. Ils mettent des mots compliqués sur des choses simples.
Nous imaginons que nos semblables nous jugent pareils à eux. C’est vrai de quelques-uns. La plupart ne nous voient pas comme nous sommes. Nous sommes la projection d’infinis fantasmes. Chacun possède un avis sur qui nous sommes et qui nous devrions être. Nos vies s’inscrivent dans le regard des autres.
La vie m’a appris que rien n’était définitif. Pourtant je crois savoir que je n’aurai jamais d’enfants. C’est sans doute la meilleure façon d’éviter d’être père.
J’ignorais que mon frère avait adopté en dépit du fait qu’il avait déjà des enfants. Je trouve cela très généreux. Si j’en avais été informé auparavant et eusse appris que mon frère recherchait quelqu’un, j’aurais postulé pour le poste. J’aurais adoré qu’Hans-Albert m’adopte.
(Albert Einstein) a eu tous les courages. Braver la Gestapo, soutenir, un des premiers, la cause des Noirs, aider à la création de l’état juif, braver le FBI, ne pas baisser l’échine, ne jamais renoncer, écrire à Roosevelt pour construire la bombe contre l’Allemagne et écrire à Roosevelt pour arrêter la bombe destinée au Japon. Soutenir les juifs opprimés par le Reich. Pétitionner. Etre en première ligne. Mais aller voir son fils est au dessus de ses forces. Il a trouvé ses limites. Seul l’univers ne connait pas de limites.
Quelques éclats de rire se font entendre. Se peut-il qu’en un même instant, de part et d’autre d’un océan, une même jeunesse brûle, ici, des cigarettes, là, des livres ?
Il songe à ce qu’il adviendra de ces jeunes Américains-là, à l’air naïf, au visage radieux, lorsqu’ils se retrouveront, combattant face à la jeunesse allemande préparée à la lutte, avide de sang et de pureté raciale.