Téquila Leila c'est ainsi que la connaissent ses amis et ses clients, elle gît quelque part dans les faubourgs d'Istanbul au fond d'une benne à ordures. Pendant les quelques minutes qui suivent sa mort, Leila va se remémorer des choses de sa vie qu'elle croyait perdues à jamais. Une odeur, un goût et voilà ses pensées qui évoquent un souvenir surgi du passé. Tout commence dans une maison de vacances au bord de la mer, Leila a six ans, son oncle quarante-trois. Elle a de la saleté en elle, une saleté impossible à laver.
Elif Shafak nous offre un roman à la construction très originale. Dans une première partie, elle nous raconte la vie d'une jeune femme brutalisée, brisée, mais profondément courageuse qui conserve son humanité malgré un monde déterminé à l'écraser à chaque jour.
Au cours de ces années, Leila se fait cinq amis essentiels une famille de substitution dont les histoires sont brièvement entrecoupées des siennes. Une belle amitié entre six êtres vulnérables, écorchés par la vie
« Chaque fois qu'elle trébuchait ou basculait, ils étaient là pour elle, la soutenant ou adoucissant l'impact de la chute. »
Une fois que nous sommes arrivés à 10 minutes et 38 secondes, le cerveau de Leila rejoint son corps dans la mort, et le récit se transforme en une escapade comique des amis de Leila qui tentent de la sauver du cimetière des Abandonnés là où reposent tous les rejetés par leur famille ou leur village, les pouilleux, les malades mentaux, les épaves, les mères célibataires, les prostituées, les indésirables, les parias de la société, les lépreux de la culture.
Elif Shafak est une voix éminente pour les droits des femmes et des LGBTQ dans le monde, dans ce roman puissant et émouvant, elle donne la parole aux nombreux sans-voix et à travers eux aborde bien des sujets difficiles, la maltraitance des enfants, l'extrémisme religieux, le sexisme, le rejet du handicap et de la différence, l'homophobie, le sort des immigrants, la pauvreté et l'esclavage sexuel.
Portait aussi sans concession de la Turquie et d'Istanbul, la ville où finissent par aboutir tous les mécontents et les rêveurs
« Dans un pays où la justice arrivait souvent tard, quand elle arrivait, nombre de citoyens se vengeaient tout seuls, répondant aux coups par des coups encore plus violents. Deux yeux pour un oeil, pour une dent toute la mâchoire. »
Les dernières pages racontées à partir de l'ultime lieu de repos de Leila, sont d'une grande beauté.