On est en 2010 et une tempête s'abat sur la capitale anglaise et oblige le trio, Ada une londonienne, sa tante Meryem, une turque et son père Kostas, un grec, à rester enfermés dans leur maison pour la fin de l'année. L'hétérogénéité du groupe et ce confinement forcé, est l'occasion pour la jeune adolescente (suis-je la seule à penser avec un petit calcul qu'elle devait avoir 10 ans alors qu'elle en a 16 ?) à découvrir petit à petit les secrets de l'amour interdit qui a lié ses parents, et comprendre comment sans vraiment appartenir à leur pays natal, sa culture a toujours fait partie de son ADN. le dilemme générationnel des enfants d'immigrés vivant en Occident se demandant si oui ou non ils appartenaient à l'Orient. Ada n'a jamais mis les pieds sur Chypre, et pourtant dans ses veines coule le sang mélangé de ses ancêtres, musulmans et chrétiens.
En effet, l'Ile aux arbres disparus est un voyage vers l'ile de Chypre, où turcs et grecs ont vécu longtemps pacifiquement jusqu'à ce que tout chamboule en 1974, date où une guerre civilo-ethnique éclate, opposant les deux camps. Là, Chypre, l'île de plage, de sables dorés et de soleil devient le théâtre de sang et de violence. Date où, les deux personnages du roman, Kostas et Defne, appartenant à deux mondes différents, et pourtant amoureux, doivent expérimenter la séparation.
Elif Shafak, elle-même exilée est mieux placée pour aborder le sujet de l'immigration et de l'enracinement : « A l'image des cercles de croissance d'un arbre, nous pouvons avoir des attachements locaux et nous sentir globalement connectés au reste de l'humanité » le Temps, samedi 15 janvier 2022. Son livre, sorti en 2021 est un hommage aux innocents assassinés, aux familles expropriées, terrorisées, obligées de dire adieu à leurs enfants portés disparus, sans pouvoir les enterrer dignement et les pleurer pour de bon. La plaie de la perte ne cicatrise jamais !
C'est une ode au dépaysement, mais également, à l'univers végétal et son écosystème, faisant contre toute attente, d'un arbre, un narrateur à part entière ; une sorte d'appel à l'humilité humaine dans un monde insensible, violent, guidé par la haine dans la majorité du temps ; une invitation à abandonner son égocentrisme et porter un nouveau regard sur les autres espèces.
L'idée originale et intelligente de donner la parole à un arbre, le figuier enveloppé dans un tissu et emporté clandestinement dans les valises de Kostas et Defne avec le grand soin nécessaire pour le ré-enraciner dans une terre qui n'est pas la sienne - a pris forme lorsque l'autrice elle-même s'était demandé sur ce qu'elle aurait pu emmener, dans son voyage sans retour, lorsqu'elle a quitté Istanbul.
Elle avoue plus tard, que faire parler le figuier, un oeil extérieur, lui permettait de parler du conflit chypriote sans tomber dans le nationalisme. Elle peint brillamment ce figuier comme le témoin d'affinités et d'atrocités, remontant sa mémoire, partageant dans un style nostalgique et romantique, ses souvenirs et faisant part de ses réflexions.