L'ardeur y est tempérée par la mélancolie, et l'ombre y lutte avec la lumière. La mélancolie, même sous la forme où elle apparaît dans la création énigmatique et profonde d'Albrecht Dürer, n'a pas sa place dans le monde féerique et changeant de Turner : quelle place aurait-elle dans un rêve cosmique ? L'humanité est absente, sauf peut-être sous la forme de personnages de théâtre que nous regardons à peine. Une peinture de Turner nous fascine, et pourtant nous ne pensons à rien de précis, rien d'humain ; seulement à des couleurs inoubliables et aux spectres qui hantent nos imaginations. En réalité, l'humanité ne l'inspire que lorsqu'elle est liée à l'idée de mort, mais d'une mort étrange, une dissolution lyrique – comme le finale d'un opéra.
Ce n'est qu'en 1819 que Turner se rendit en Italie, pour y retourner en 1829 et 1840. Sans aucun doute, Turner y ressentit des émotions et y trouva des sujets de rêverie qu'il transcrivit plus tard, dans les termes de son propre génie, en symphonies de lumière et de couleurs. La logique de la raison ne compte pas aux yeux de cette imagination nordique. Mais aucun Latin n'aurait possédé cette autre logique, monstrueuse à son goût, propre à l'Anglais consumé par un rêve solitaire et royal, indéfinissable et plein de merveilles, qui lui permettait d'abolir les frontières entre la vie (même la sienne) et les images qu'il créait. Le rêve du Latin, qu'il soit vénitien ou français, est un rêve de bonheur, à la fois héroïque et humain.
Son choix d'un unique maître du passé est éloquent, étudiant en profondeur toutes les toiles du Lorrain qu'il put trouver en Angleterre, les copiant et les imitant avec une extraordinaire perfection. Il ne se départit jamais de son culte pour le grand peintre. Il voulut que son Lever du soleil à travers la vapeur soit placé à la National Gallery aux côtés de deux chefs-d'oeuvre du Lorrain ; et c'est là que nous pouvons les y voir et juger du bien-fondé de ce fier et splendide hommage.