Pourquoi le ciel est bleu ?

Et, des nuages au ventre d’ardoise montèrent rapidement au-dessus des collines.

Et c'est ainsi que l'année de ses sept ans, au moment des moissons, eut lieu l'incident qui frappa tellement la mémoire de Julien et le poursuivit longtemps....Cet après-midi-là, elle était occupée à rassembler les javelles pour les lier en gerbes et l'avait envoyer chercher de la ficelle lieuse sur la charrette en bordure du champ...C'est alors que, près d'elle, la tête levée, il prononça les mots qui allaient le hanter toute sa vie : - Pourquoi le ciel est bleu ? Il ne vit pas arriver la gifle qui l'accabla d'une culpabilité dont il ne mesura pas tout à fait les raisons, mais qui le laissa abasourdi, désemparé. Sa mère travaillait en plein soleil, il faisait très chaud, elle était épuisée et, au lieu de l'aider, il regardait le ciel, posant une question dont l'incongruité lui apparut coupable tandis qu'il portait la main vers sa joue. Elle ne l'avait jamais frappé. C'était la première fois. Il comprit qu'il n'avait pas le droit de poser ce genre de question si éloignée de leurs préoccupations quotidiennes. Lui, comme elle, devait vivre courbé vers le sol qui les faisait vivre, y consacrer toutes ses forces, ne penser à rien d'autre

Il n'est pas certain que le monde de demain permette à nos enfants de vivre mieux que nous. Le XXI e siècle ne pourra pas- du moins je ne crois pas- leur faire accomplir autant de progrès que les générations précédentes, car les conditions économiques inhérentes à la mondialisation sont féroces...

Je suis persuadé que l'existence de ma mère a beaucoup pesé dans la décision de mon père de ne pas rejoindre l'Afrique du Nord ou l'Angleterre. Non qu'il ait eu l'âme guerrière, mais il était capable, par solidarité, de suivre des camarades vers une destination inconnue, fût-elle périlleuse.

Le destin des hommes ne leur appartient pas quand ils se heurtent à l'Histoire en marche.

Elle comprit qu'il avait honte d'être payé sans travailler, lui qui avait été habitué, et depuis son plus jeune âge, comme tant de gens à l'époque, à ne vivre que du pain qu'il gagnait. Et plus que de sa blessure, c'était sans doute de cette pensée-là qu'il souffrait, car elle le niait, le faisait devenir un assisté, un homme incapable de nourrir sa famille.

Le jour où il fallut tout quitter : la famille, les bois, les chemins, les villages aux pierres ocre, les maisons aux toits de tuiles brunes, tout ce à quoi ils tenaient, ils hissèrent avec hésitation leur malle sur la charrette qui devait les conduire à la gare de Sarlat. Hélène eut alors un moment de faiblesse et de renoncement. Julien s'en rendit compte, faillit faire demi-tour, mais il avait donné sa parole à M. Duval, et il n'était pas question pour lui de ne pas la respecter.

Dès le premier jour, la rudesse de l'accueil, la violence des ordres ne le surprirent même pas. Il savait que le monde extérieur ne pouvait être qu'hostile, menaçant, surtout pour lui qui ne possédait aucune arme pour s'en défendre.

Ces huit jours l'avaient ébranlé plus qu'il ne se l'avouait. Il venait de mesurer que sans le travail, la position qu'il assurait, les ressources qu'il procurait, il n'était rien. Le travail sauvait de tout. Sans lui, il n'existait pas. il se promit de retenir la leçon -une leçon qu'il ne devait jamais oublier et qu'il transmit plus tard à ses enfants, comme un secret découvert à vingt ans et jalousement conservé pour leur bonheur futur.

Julien, lui, au cours des trois années de son service militaire, devint encore plus silencieux, mais aussi plus fort, plus vigoureux grâce à la nourriture, qui n'était certes pas d'excellente qualité mais n'était pas mesurée aux soldats. Sa résistance augmenta à proportion des longues marches, des exercices dans la cour, des efforts exigés par les officiers qui ne toléraient pas la moindre faiblesse, et ce ne furent donc pas des années complètement perdues.
Il finit de devenir adulte, un adulte endurant, rebelle, farouche, mais mieux armé pour affronter le monde dans lequel il allait être précipité dès la fin de "son temps".