J'ai dû lire quelques romans de
Georges Simenon vers 15-16 ans et n'en avais plus ouvert un depuis. Sais pas pourquoi. Un souvenir trop prégnant des adaptations télévisuelles et cinématographiques des enquêtes de
Maigret, peut-être ?
Quoi qu'il en soit c'est avec délectation que j'ai renoué avec le personnage de ce commissaire à l'allure faussement bonasse et surtout avec le "style
Simenon" qui n'était certes pas ma première préoccupation lors de mes lectures adolescentes.
Concarneau est le théâtre d'une série de crimes qui semblent viser plus particulièrement les clients habituels du bar de l'Amiral. Détaché à la Brigade mobile de Rennes,
Maigret est appelé sur les lieux. L'inspecteur Leroy l'accompagne et le seconde pour la première fois dans une enquête. Fidèle à ses habitudes,
Maigret s'installe, fume d'innombrables pipes sans piper un mot et observe. Alors que le jeune policier rompu aux prélèvements d'indices, aux raisonnements et aux déductions, bref aux habituelles méthodes policières, s'interroge sur l'apparente passivité de son supérieur, le commissaire "sent" l'atmosphère, les interactions des uns et des autres et s'insère benoîtement dans le groupe de familiers du café. Un chien (celui du titre) brusquement apparu sur les lieux du premier crime l'intéresse tout particulièrement. D'où vient ce chien ? Qui est son maître ? Pourquoi ne quitte-t-il pratiquement plus le café ?
Maigret impose son rythme à l'enquête, faisant fi des habituelles techniques d'investigation et s'imprègne de l'ambiance pour mieux en discerner les dissonances.
Sans profusion de détails mais en choisissant ceux qui seront les plus évocateurs, l'écriture parvient à nous faire saisir la vérité d'un personnage, au-delà du masque de sociabilité qu'il revêt. Ainsi d'Emma, la serveuse du café : "Il y avait en elle une humilité exagérée. Ses yeux battus, sa façon de se glisser sans bruit, sans rien heurter, de frémir avec inquiétude au moindre mot, cadraient assez bien avec l'idée qu'on se fait du souillon habitué à toutes les duretés. Et pourtant on sentait sous ces apparences comme des pointes d'orgueil qu'elle s'efforçait de ne pas laisser percer." (p.29). En quelques mots, le personnage acquiert une épaisseur, une vie qui se déploie souterrainement, camouflée derrière une façade protectrice. Est-ce qu'on est jamais ce que l'on dit être ? Ce que l'on croit être ? En s'éloignant des interrogatoires conventionnels,
Maigret réussit à fissurer cette façade pour qu'apparaisse l'histoire vraie.
Je crois que ce "chien jaune" m'a mise en appétit et que je vais de ce pas engloutir quelques autres romans de
Simenon !