Les hasards de la lecture. Ce livre me ramene inopinement a Batum sur la mer Noire, que je viens de visiter dans La madone des sleepings. Et il surencherit dans la critique du regime sovietique de l'epoque. Ecrit en 1933, il decrit un regime oppressant, ou les gens ont peur de parler, et en plus incompetent, inapte a nourrir sa population. Mais la s'arretent les similitudes,
Simenon nous servant (comme a son habitude) un recit aux teintes grises noires, excellant (comme a son habitude) a sonder la psychologie du principal personnage, qui passe de l'etonnement a l'incomprehension, au stress, a l'apprehension, a la peur pure et simple. C'est suffoquant, anxiogene.
Un nouveau consul de Turquie arrive a Batum. Il se sent isole, il n'arrive a rien faire, aucune de ses demarches n'aboutit, il se sent epie, surveille, il commence a croire que son predecesseur a ete empoisonne, il a peur de subir le meme sort. Il essaye de tirer les vers du nez a la secretaire qu'on lui a adjuge d'office, la force a partager son lit et finit par en tomber amoureux. En cette Georgie sovietique c'est un amour impossible, dangereux. Il prepare donc leur fuite. Mais pourra-t-il reussir quand chaque voisin, chaque passant, peut etre un policier, un agent de la Guepeou ou simplement un mouchard, quelqu'un qui devient informateur pour pouvoir vivre?
Par une demarche un peu lente, pas a pas,
Simenon genere une atmosphere pesante, qui trouble et finit par angoisser le consul, l'atmosphere asphyxiante d'une ville ou chacun se garde de son prochain, ou chacun cache ses sentiments et ses pensees et repond a tout – meme a l'amour – par des automatismes appris et interiorises de force. le systeme social, policier, controle les gestes, les paroles et peut-etre meme les pensees. Il faut se taire ou reciter une lecon si on veut vivre, si on veut manger ne serait-ce qu'une ration de pain noir. Et
Simenon de souligner en passant les consequences tangentes du systeme, le marche noir, et surtout la prostitution, endemique, pour un bout de savon ou une boite de sardines.
Le consul perd peu a peu tout repere. de plus en plus nevrose, ses nerfs lacheront-ils? En le suivant, moi je n'ai pu lacher ce livre, un livre ou tout est gris et tous les gris tendent vers le noir. Une grande reussite de
Simenon, ou il campe et analyse une sorte de descente aux enfers, dans un environnement qu'il depeint carrement comme un enfer.