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Citations sur L'herbe (16)

...elle m’a donné cette bague, elle m’a fait venir dans sa chambre (et c’est la première fois que j’ai senti cette odeur, ce parfum, exactement comme celui d’une rose desséchée ou plutôt – puisqu’une rose desséchée ne sent rien – celui que l’on imagine qu’elle devrait exhaler, c’est-à-dire quelque chose qui serait à la fois fait de poussière et de fraîcheur, et j’ai regardé sa table, sa coiffeuse, mais il n’y avait rien que ces quatre épingles et ce flacon d’eau de Cologne bon marché, et pourtant cela sentait comme une fleur, comme une jeune fille, comme peut sentir la chambre ou plutôt le tombeau, le sarcophage d’une toute jeune fille que l’on y aurait conservée intacte quoique prête à tomber en poussière au moindre souffle)...
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« Mais elle n’a rien, personne, et personne ne la pleurera (et qu’est-ce que la mort sans les pleurs ?) sinon peut-être son frère, cet autre vieillard, et sans doute pas plus qu’elle ne se pleurerait elle-même, c’est-à-dire ne se permettrait de se pleurer, ne penserait qu’il est décent, qu’il est convenable de...
– Mais elle ne t’est rien.
– Non, dit Louise.
– Elle ne t’est rien.
– Non », répéta-t-elle docilement. Mais elle continuait à regarder devant elle quelque chose qu’il ne pouvait pas voir.
(Incipit)
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l’été qui allait peu à peu ainsi s’épuiser, par degrés, d’orage en orage, comme si chacun emportait, lui enlevait un peu de sa substance – cette épaisse et opaque matière, comme la pâte d’un pinceau trop chargé, dans laquelle il semble être coulé tout entier : les lents ciels lourds, la lourde et verte senteur de foins coupés, d’herbe tiède, de terre tiède, de fruits tièdes, mûrissants, pourrissants –, les orages (comme celui de l’avant-veille) d’abord aussitôt épongés, bus par la terre velue, la molle et grise poussière, puis, peu à peu, attaquant l’été, le lavant, le détrempant, le trouant d’ombres transparentes, s’allongeant, puis, plus tard encore, l’entraînant, l’emportant, ni plus ni moins qu’une aquarelle se délayant, glissant, s’abîmant parmi l’humide, brun et silencieux froissement des feuilles qui se détachent, tombent, ne laissent plus à la fin que le noir entrelacs des branches nues et raides s’entrechoquant, oscillant avec raideur dans la virginale et métallique pluie d’hiver...
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Toujours debout, l’herbe, les minces langues d’herbe le long de ses jambes nues mollement balancées, non pas la brise mais l’air tiède en paresseux remous, les hautes graminées, leurs têtes arachnéennes oscillant, flexibles, léchant ses chevilles, les multiples et vertes langues de la terre, et autour d’elle cette molle vibration de chaleur s’apaisant par degrés, les contours des choses ondulant à la façon d’algues, toutes les feuilles des trembles frémissant sans trêve, oscillant, palpitant, le train de sept heures débouchant de derrière la colline, ponctuel lui aussi comme le chat, faisant gronder le pont de fer, puis disparaissant derrière le bouquet d’arbres de l’autre côté de la rivière, le bruit disparaissant, aussi englouti, tandis que le frémissement des milliers de feuilles semblait multiplier le silence, papillotant, pointillant la masse des arbres, la lumière se fractionnant en une infinité de particules miroitantes présentant alternativement leurs deux faces vert et argent, clignotant, puis train et bruit ressurgirent tout proches tandis qu’il glissait maintenant, jouet miniature, sur la portion de terrain découvert, avec la suite de ses vieux wagons verdâtres si près qu’on pouvait entendre le choc régulier des roues aux cassures des rails, voir dans l’encadrement des glaces des bustes de personnages comme découpés dans du papier et collés sur les vitres,...
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Donc : la vieille femme - le vieux, le fragile amas d'ossements, de peau, d'organes exténués, aspirant au repos, au néant originel, gisant - soulevant à peine le drap - au sein, au centre de la maison, régnant, invisible et omniprésente, non seulement sur toutes les pièces (présidant - sans qu'il soit besoin de nul benedicite - au repas, à la rupture en commun du pain dans le familier, tintement des couverts heurtant les assiettes, au jacassement absurde de l'autre vieille femme), mais encore les débordant, étendant sa présence, son royaume au-delà des murs, au delà même du râle, comme si celui-ci n'avait même pas besoin d'être perçu par l'oreille pour être entendu jusqu'à la colline, et même plus loin, maintenant, dans la nuit silencieuse, la nocturne paix du jardin.
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parce qu'elle n'a jamais rien demandé aux autres, pas même qu'ils l'aiment, pas même la permission de les aimer, pas plus qu'elle ne s'est permis de le leur dire ou de leur manifester autrement que par la seule façon qu'elle pût imaginer, c'est-à-dire en donnant.
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«(... ) elle ne se souciait même plus d’être entendue et encore moins de ce minimum de cohérence qu’il est obligatoire de donner à ses paroles pour se faire comprendre, c'est-à-dire, en y réfléchissant, pour ne pas se faire comprendre, parce que c’est tout de même assez comique et même complètement absurde d’être obligé de s’exprimer de façon cohérente quand ce que l’on éprouve est incohérent ( …) »
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cette tête déjà momifiée, ce corps soulevant à peine le drap, et qui n'a jamais tenu un homme embrassé, ces flancs, ce ventre qui n'a jamais enfanté, et ce visage maintenant semblable à un masque de carton, de parchemin..
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Elle ne répondit pas, bougeant, s’appuyant sur un coude pour atteindre le cendrier, écraser la cigarette, en prendre une autre dans le paquet sur la table de chevet, puis resta là, le bras levé, les doigts vides, encore dans la position de tenir la cigarette, la main revenue à la place où elle se trouvait quand il l’avait frappée – pas très fort – le bras ayant cédé sous le coup, reculé et repris la même position comme ramené par un ressort, la cigarette roulant par terre sur le tapis et s’arrêtant. La main bougea de nouveau, revint jusqu’au parquet sur la table, le secoua pour en faire glisser les cigarettes (l’autre bras replié sous elle soutenant toujours le buste soulevé), en prit l’une, la mit entre les lèvres, le coeur cognant toujours violemment dans sa poitrine…
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...comme si celui-ci n'avait pas besoin d'être perçu par l'oreille pour être entendu jusqu'au bas de la colline, et même plus loin, maintenant, dans la nuit silencieuse, la nocturne paix du jardin des frondaisons et des oiseaux endormis..



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