Parce qu'elle requiert des mensonges, sa vie demande une épuisante organisation, qui lui occupe l'esprit tout entier.
Adèle a fait un enfant pour la même raison qu'elle s'est mariée. Pour appartenir au monde et se protéger de toute différence avec les autres. En devenant épouse et mère, elle s'est nimbée d'une aura de respectabilité que personne ne peut lui enlever. Elle s'est construit un refuge pour les soirs d'angoisse et un repli confortable pour les jours de débauche.
Quand le printemps est arrivé, son médecin a insisté pour qu'elle passe ses journées au grand air. Il lui a conseillé de se mettre au jardinage et de planter des fleurs qu'elle regarderait pousser. Emile l'a aidée à installer un potager au fond du jardin. Elle y passe beaucoup de temps avec Lucien. Son fils aime patauger dans la boue, arroser les plants de fèves, mâcher les feuilles maculées de terre. Juillet est à peine entamé mais elle ne peut s'empêcher de constater que les jours diminuent. Elle guette le ciel, qui s'assombrit toujours plus tôt et elle attend avec angoisse le retour de l'hiver. La succession ininterrompue de journées pluvieuses. Les tilleuls qu'il faudra tailler et qui exhiberont leurs moignons noirs, comme des cadavres géants. En quittant Paris, elle s'est délestée de tout. Elle n'a plus de travail, plus d'amis, plus d'argent. Plus rien que cette maison où l'hiver la tient captive et où l'été fait illusion. Parfois, elle a l'air d'un oiseau affolé, cognant son bec contre les baies vitrées, brisant ses ailes sur les poignées de porte.
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