« le vertige, c'est autre chose que la peur de tomber. C'est la voix du vide au-dessous de nous qui nous attire et nous envoûte, le désir de chute dont nous nous défendons ensuite avec effroi. Avoir le vertige c'est être ivre de sa propre faiblesse. On a conscience de sa faiblesse et on ne veut pas lui résister, mais s'y abandonner. […]
MILAN KUNDERA L'insoutenable légèreté de l'être «
P.11
Dans son premier roman,
Leïla Slimani a choisi un sujet difficile: L'addiction au sexe. Lorsqu'il concerne les femmes, on l'appelle « nymphomanie » en référence aux « nymphes », les divinités gréco-romaine. Connaissez-vous le terme équivalent chez l'homme? Il s'agit de « satyriasisme »en référence aux satyres, ces créatures qui incarnent la force vitale de la nature dans la même mythologie. Étrangement ce terme est méconnu et jamais utilisé dans la vie courante. On dira de l'homme que c'est un « Dom Juan » ou un « Casanova », prisonniers des clichés et de la morale, qui condamne toujours la femme infidèle, qui multiplie les conquêtes, davantage que l'homme, qui en fait autant.
«
Dans le jardin de l'ogre » raconte le calvaire d'Adèle, l'épouse d'un médecin, qui multiplie les aventures, malgré elle. Esclave de ses pulsions, elle enchaîne les liaisons, s'abîmant en elles et recherchant à exister, à être remarquée, à ressentir. Adèle est jolie jeune femme, mère d'un petit Lucien, qu'elle n'hésite pas à laisser pour retrouver le contact des hommes.
« Elle connaît ce corps et ça la contrarie. C'est trop simple, trop mécanique. La surprise de son arrivée ne suffit pas à sublimer Adam. Leur étreinte n'est ni assez obscène ni assez tendre. Elle pose les mains d'Adam sur ses seins, essaie d'oublier que c'est lui. Elle ferme les yeux et s'imagine qu'il l'oblige. »
Elle culpabilise mais ne peut s'en empêcher, en veut à son mari Richard de ne rien remarquer et de ne pas la combler. Il pense tout lui offrir mais il n'a rien compris. Adèle cumule les mensonge, les secrets et assume comme elle peut ses pulsions, malgré les risques.
« À quoi servirait de se retenir ? La vie n'en serait pas plus belle. À présent, elle réfléchit en opiomane, en joueuse de cartes. Elle est si satisfaite d'avoir repoussé la tentation pendant quelques jours, qu'elle en a oublié le danger. »
« En attendant que son mari sorte de la salle de bains, elle délie une feuille en papier et commence une liste. des choses à faire, à rattraper surtout. elle a les idées claires. Elle va nettoyer le quotidien, se débarrasser, une à une, de ses angoisses. Elle va remplir son devoir. «
Leila Slimani décrit très bien la dépendance, la torture psychologique qu'elle représente pour la personne qui souffre de ce trouble. Adèle est esclave de son corps. Elle peut lutter quelques jours mais elle finit toujours par craquer. Elle se salit en agissant ainsi car elle n'a pas de respect pour elle-même et sait que son mari ne le mérite pas. Mais c'est plut fort qu'elle, impossible à maîtriser.
« Elle compris très vite que le désir n'avait pas d'importance. Elle n'avait pas envie des hommes qu'elle approchait. Ce n'est pas à la chair qu'elle aspirait, mais à la situation. Être prise. Observer le masque des hommes qui jouissent. Se remplir. Goûter une salive. Mimer l'orgasme épileptique, la jouissance lascive, le plaisir animal. Regarder partir un homme, ses ongles maculés de sang et de sperme.«
« Ils ont monté l'escalier ne titubant. A chaque marche, la magie se diluait, l'ivresse joyeuse faisait place à la nausée«
P.28
Tout devrait pousser le lecteur à la juger, par convention sociétale pour ses agissements en dehors de la norme, ses infidélités répétées, ses lieux de fornications (dans la rue, en bas d'un immeuble, contre une poubelle, etc.), avoir des relations dénuées de sentiments, ses façons de faire dénuées de morale et de respect a priori (draguer ses collègues, son patron, les proches de son époux, d'amies…) mais sous la plume de Slimani, on compatit.
« Adèle a fait un enfant pour la même raison qu'elle s'est mariée. Pour appartenir au monde et se protéger de toute différence avec les autres. En devenant épouse et mère, elle s'est nimbée d'une aura de respectabilité que personne ne peut lui enlever. Elle s'est construit un refuge pour les soirs d'angoisse et un repli confortable pour les jours de débauche »
https://blogapostrophe.wordpress.com/2021/07/18/dans-le-jardin-de-logre-de-leila-slimani/
Elle n'est pas non plus la mère idéale, préférant être avec ses amants et refourguer le petit Lucien à une baby-sitter mais là encore, on lui pardonne. On remonte aussi son passé et découvre ses blessures narcissiques dues à une mère lacunaire, jalouse et immature. Un manque de reconnaissance et d'affection probablement à l'origine de son trouble. Une façon de prendre la place qu'elle n'a jamais eue.
« Dans son amnésie flotte la rassurante sensation d'avoir existé mille fois à travers le désir des autres.«
Adèle peut provoquer parfois le dégoût mais surtout la pitié. On vit ses tourments et ses angoisses. C'est un être en souffrance. jamais on ne la voit comme un prédateur, qui cherche à piéger l'autre dans sa toile mais plus comme sa propre victime. Elle agit comme une droguée. Accroc. Incapable de s'en passer même si elle a conscience du danger et du mal que cela lui fait. Et comme avec la drogue, elle a soif de sensations de plus en plus fortes donc le jeu devient de plus en plus risqué, loin des ébats romantiques tendres et fougueux, que l'on peut imaginer. L'alcool aidant, Adèle n'hésite pas à transgresser les limites de l'acceptable malgré les réveils de plus en plus douloureux.
« Ce ne sont pas les hommes qu'elle craint mais la solitude. Ne plus être sous le regard de qui que ce soit, être inconnue, anonyme, être un pion dans la foule. Être en mouvement et songer que la fuite est possible. Pas envisageable, non, mais possible. »
Un roman particulier, qui ne plaira pas à tous par son sujet transgressif mais très bien mené par une plume sensible, qui nous familiarise à un trouble méconnu, décrié et dont les victimes sont pourtant en souffrance.
Pour ceux qui recherchent un livre dans la veine de l'excellent roman noir «
Chanson douce » qui a remporté le Prix Goncourt en 2016, passez votre chemin. Ces deux romans sont bien écrits, du même auteur mais n'ont aucun autre point commun.
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