« Non ce n'est pas moi. C'est quelqu'un d'autre qui souffre.
Moi, je n'aurais pas pu souffrir autant. »
ANNA AKHMATOVA
Premier roman de
Leïla Slimani, «
Dans le jardin de l'ogre » traite du sujet tabou de la dépendance sexuelle.
J'avoue avoir hésité, pendant un moment, à lire ce livre en raison de son thème qui ne m'attirait pas et je pensais m'aventurer en dehors de ma zone de confort en le lisant. Mais ayant aimé les autres romans de l'auteure, j'ai décidé de lui faire confiance. En définitive, je ne le regrette pas : le roman n'a rien d'érotique, il y a certes, des scènes intimes décrites en détail, mais le récit est introspectif et centré sur la psychologie des personnages.
*
Adèle mène une double vie.
Dans la première, elle est une femme épanouie et heureuse. Journaliste, elle voyage beaucoup et elle vit dans un bel appartement parisien avec son mari chirurgien et leur jeune enfant.
Mais sous cette belle couche de vernis, se cache une femme seule, insatisfaite, malheureuse, rongée par un besoin dévorant de sexe. Malgré son attachement pour son fils et son mari, elle est comme une toxicomane, une droguée du sexe. Elle a besoin de se sentir vivante, entourée, regardée, désirée, malmenée.
« Elle voudrait n'être qu'un objet au milieu d'une horde, être dévorée, sucée, avalée tout entière. Qu'on lui pince les seins, qu'on lui morde le ventre. Elle veut être une poupée dans le jardin d'un ogre. »
Elle cherche à tout prix à préserver ses deux vies, ne voulant pas faire souffrir sa famille, et ne trouvant pas la force de résister à la violence de cet appel. Elle organise donc sa vie de manière à assouvir ses envies tout en maintenant un semblant de vie normale, son mari, follement amoureux d'elle, ignorant tout de l'addiction de sa femme.
« Les hommes l'ont tirée de l'enfance. Ils l'ont extirpée de cet âge boueux et elle a troqué la passivité enfantine contre la lascivité des geishas. »
*
Leïla Slimani brosse un portrait convaincant, troublant et douloureux d'une femme sous l'emprise de pulsions sexuelles qu'elle n'arrive pas à contrôler.
L'auteure ne cherche pas à expliquer pourquoi Adèle tente de combler les vides de son quotidien par une boulimie de sexe. Elle préfère s'attacher à ses personnages, à Adèle en particulier, à son mal-être, et aux répercussions sur son entourage.
Et le lecteur ressent ses tourments, sa peur d'être démasquée, sa solitude extrême, son insatiabilité impossible à refouler, son insatisfaction en même temps que cette violence qu'elle désire faire subir à son corps.
Tout doucement,
Leïla Slimani amène une tension à son récit, le lecteur se doutant que cette vie insatisfaisante ne peut continuer ainsi.
*
Adèle n'est pas un personnage particulièrement sympathique, mais j'ai été touchée par sa vulnérabilité, sa souffrance psychologique suscitée par cette envie irrésistible et autodestructrice.
Ces aventures, sans amour, sans lendemain, n'apportent rien.
Aucun plaisir, aucune joie, aucune tendresse, aucun attachement.
« Parfois, elle a l'air d'un oiseau affolé, cognant son bec contre les baies vitrées, brisant ses ailes sur les poignées de porte. »
Adèle m'a rappelé Emma, l'héroïne de
Gustave Flaubert. Toutes deux femmes de médecin, elles sont prisonnières d'un quotidien insipide, ennuyeux qui les mène à l'adultère.
*
J'avais déjà pu apprécier le style de
Leïla Slimani, dans «
Chanson douce » en particulier.
Je retrouve l'auteure dans la justesse des mots, l'écriture toujours très directe, brute, cru, laconique, sombre, sensuelle, mais qui ne juge pas.
« Elle comprit très vite que le désir n'avait pas d'importance. Elle n'avait pas envie des hommes qu'elle approchait. Ce n'était pas à la chair qu'elle aspirait, mais à la situation. Être prise. Observer le masque des hommes qui jouissent. Se remplir. Goûter une salive. Mimer l'orgasme épileptique, la jouissance lascive, le plaisir animal. Regarder partir un homme, ses ongles maculés de sang et de sperme. »
Elle nous fait entrer dans l'intimité de cette femme, et à travers cette mise à nu sans détour, je me suis sentie à la fois spectatrice et voyeuse. J'ai parfois été gênée, mal à l'aise devant cette écriture si juste, si franche, sans faux-semblant.
*
Pour conclure, «
Dans le jardin de l'ogre » est un récit poignant.
Le thème choisi est certes audacieux, voire dérangeant, mais
Leïla Slimani a le don d'émouvoir.
J'en ressors attristée par la détresse d'Adèle, la torture physique et psychologique qu'elle subit au quotidien. On ne peut la juger, on ne peut que compatir.
Merci Marlène50 qui, par ta belle critique, m'a donné envie de découvrir ce texte.