- Pourquoi pleures-tu ? demande une voix.
- Je ne sais pas, je réponds. Peut-être parce que je suis heureuse.
La perspective de monter dans un avion sans un livre déclenche chez moi une vague de panique. Le bon livre peut en quelque sorte servir de guide bénévole, donnant le ton, voire altérant le cours d'un périple.
Je m'en veux de ne pas écrire, mais je me dis que se perdre dans la torpeur énergisée de l'univers de Modiano c'est presque comme écrire.
Plan sur une fenêtre ouverte, images de blancheur, de bouleaux émergeant à travers des phrases chuchotées et un train et le vent et le vide.
Dans le train, je continue à écrire fébrilement, comme ressuscitée d'une mer du souvenir. Alain lève les yeux de son livre et regarde par la vitre. Le temps se contracte. Nous approchons soudain de Paris. Aurélien est endormi. Je réalise que les jeunes gens ont l'air beau quand ils dorment et que les vieux, comme moi, ont l'air mort.
- Pourquoi pleures-tu ? demande une voix.
- Je ne sais pas, je réponds. Peut-être parce que je suis heureuse.
Le plus souvent, l'alchimie qui produit un poème ou une oeuvre de fiction est dissimulée dans l'oeuvre elle-même, voire incrustée dans les stries enroulées de l'esprit. Mais dans ce cas précis, je pouvais retrouver la trace de pléthore de pistes, une forêt de sapins, la coupe de cheveux de Simone Weil, les lacets blancs, un petit sac rempli de vis, le pistolet existentiel de Camus.
Le destin a une main mais n'est pas la main. Je cherchais quelque chose et avais trouvé autre chose, la bande-annonce d'un film. Emue par une voix sonore quoique étrangère, je laissai libre cours aux mots qui se déversaient. Je me suis embarquée dans un périple, attirée par un jukebox lumineux faisant apparaître une symphonie de points de référence. Je me faufilais dans un monde qui n'était même pas le mien, j'arpentais les rues abstraites de Patrick Modiano. J'ai lu un livre, découvert le militantisme mystique de Simone Weil. J'ai observé une patineuse artistique, totalement charmée.