Le village, c'est tout d'abord l'histoire de Luka Mikhaïlovitch et de sa famille, qui habite Vyriv, petit hameau ukrainien, en rase campagne. Nous sommes en hiver 1930, un froid glacial a envahi la steppe et a blanchi tout le paysage. Luka, ancien combattant russe de l'armée tsariste puis de l'armée rouge, est marié à Natalia. le couple a trois enfants, Viktor et Petro, jumeaux de 17 ans, et Larissa, tendrement surnommée Lara par les membres de sa famille, 8 ans.
Un jour, alors qu'ils sont partis chasser dans la steppe, Luka et ses fils aperçoivent au loin un homme sur le point de flancher. Cet homme, dont on ignore le nom, étant décharné, harassé, les trois hommes décident de l'amener à leur domicile afin de lui prodiguer les soins qui s'imposent. Cependant, ils sont fort surpris, et dérangés, lorsqu'ils aperçoivent deux cadavres d'enfants dans son traîneau, dont celui d'une petite fille mutilé à la cuisse, rappel d'épisodes d'anthropophagie perpétrés quelques dix années plus tôt lors de la grande famine. Malgré cela, Luka décide de faire confiance à l'homme tant qu'il n'aura pu l'interroger. Celui-ci, mal en point, est en effet tellement hagard qu'il ne peut s'exprimer. Quand, le lendemain, Luka et ses fils vont au cimetière enterrer décemment les deux petits cadavres, Dimitri Spektor, le beau-frère de Luka (leurs femmes sont soeurs), les surprend et est choqué par la violence des actes commis sur la petite fille. Complètement paniqué, il rameute les habitants de Vyriv qui vont, comme un seul homme, et malgré les objections de Luka et de quelques autres, se défouler sur l'inconnu, lui faire subir toute la haine qu'ils ont amoncelée dans leur chair, jusqu'à le lyncher sauvagement. Et pendant ce temps-là, alors que Luka s'en prend à Dimitri, qui commence à comprendre les conséquences de ses actes (c'est lui qui, par sa violente panique, a entraîné la mort de l'inconnu), la fille de Dimitri et Svetlana, Dariya, partie jouer avec sa cousine Lara un peu plus loin, sur une colline, disparaît subitement.
Commence alors une traque impitoyable entre quatre hommes (Luka, ses fils Viktor et Petro, et Dimitri) et l'homme qui a enlevé Dariya. Car Luka en est sûr, sa nièce a été kidnappée.
Un récit poignant, prenant, qui ne vous laissera pas un instant de répit. On vit, on pleure, on souffre avec Luka (le récit à la première personne est une très bonne idée). On perçoit l'horreur de ce qu'a été cette période méconnue en France, où l'Ukraine subissait déjà le joug implacable de la Russie. On comprend aussi comment le régime stalinien a pu faire autant de millions de morts … Tous sont victimes de ce régime, les habitants, les soldats eux-mêmes, et même les anciens soldats, qui ont perdu leur âme en chemin.
Beaucoup de tension, de très beaux moments (les relations entre Luka et ses fils, sa déception à leur égard parfois, sa fierté souvent, son incompréhension aussi), et des moments d'une terrible cruauté
(les horreurs perpétrées sur la petite fille, le lynchage de l'inconnu, la mort de Dimitri, l'horreur de Viktor quand il comprend qu'il s'est trompé de personne en croyant avoir tué le voleur d'enfants, le changement de comportement chez Dariya entre le début du récit, petite fille espiègle, et son retour de Sushne, petite fille complètement déshumanisée. Et, surtout, la mort de Petro, qui m'a bouleversé).
Un roman coup de poing, donc, pour moi. Pas un polar, pas réellement un thriller non plus. Plutôt une chasse à l'homme dans un contexte historique important pour l'histoire (car c'est le contexte qui amène les hommes à agir comme ils le font), teintée d'une humanité exacerbée par la volonté de survivre coûte que coûte.