Nous sommes l'homme violent. Nous sommes Paul. Nous vivons ses journées mornes, sa solitude, ses envies, ses désirs, ses jalousies, ses accès de colère, sa violence, son repentir, ses tentatives de rachat, ses échecs, sa solitude, ses envies, ses désirs...
Bénédicte Soymier nous place réellement dans sa peau, nous fait suivre ses réflexions, la logique qu'il déploie pour échafauder des plans, qu'il s'agisse de séduire ou de sortir de la routine, changer de rôle ou d'apparence. Et c'est de manière tout aussi immersive que l'autrice nous plonge au coeur des pulsions de Paul, illogiques par essence, mais qu'il parvient, en se mentant à lui-même, à expliquer, sinon à excuser, puis à vouloir effacer, comme s'il était possible de rembobiner... après avoir embobiné.
Ce tableau psychologique est absolument époustouflant de précision et de réalisme. Pour compléter les attitudes, les actions, les ruminations de Paul,
Bénédicte Soymier dose très finement les variations stylistiques et les basculements de la narration. de longs paragraphes se dévident quand Paul pense, imagine, envisage, veut, ne veut plus, se sent prêt, se rétracte, puis ose enfin... Des phrases hachées, vives, nerveuses surgissent tout à coup quand la colère l'emporte, guide ses insultes et ses poings. Et la surprise nous saisit comme elle saisit la femme subitement frappée, jetée à terre, injuriée par l'homme qui, quelques heures plus tôt, lui disait qu'il l'aimait.
Sur le plan narratif, le texte alterne le point de vue externe centré sur ce que ressent et pense Paul, avec des aperçus brefs et plus rares de ce qui traverse l'esprit des autres personnages dans des situations qu'ils partagent avec lui. Ces contre-points sont parfaitement placés et équilibrent à merveille le soliloque ininterrompu de cet homme, enfermé dans son malaise, dans son histoire, dans ses blessures et dans les scénarios qu'il invente et qu'il voudrait imposer à chaque nouvelle rencontre.
C'est finalement une lecture bouleversante et indispensable, qu'il faut lire lentement, voire relire, pour vivre pleinement, puis digérer cette immersion dans la violence que des hommes infligent à des femmes.
C'est un roman que je ne peux pas dire avoir aimé. J'ai aimé et été ébloui par le talent de l'autrice, son écriture, sa construction, sa finesse d'analyse des comportements ou des modes de pensée. Mais l'histoire, non, je ne peux pas l'avoir aimée. C'est une histoire qui révolte, qui bouleverse. C'est une histoire qui nous place face à une réalité qui existe, dans nos quartiers, dans nos immeubles, dans nos familles. C'est une histoire qui existe depuis que l'homme est homme et que la femme est femme. C'est une histoire qui, hélas, continuera ; mais dont nous pouvons tenter de limiter le nombre d'occurrences. En aidant, en écoutant, en recueillant les femmes qui en sont les victimes ; en éloignant, en soignant les hommes qui en sont les auteurs. Et en portant nos fils à rester du côté des premières.