Prisonnière

Le passé était le passé ; l’avenir, lui, était plein de promesses et d’espoirs. Ils avaient parcouru un long chemin pour se trouver. Et la femme qui hantait Théo depuis le premier jour de leur rencontre était enfin dans ses bras.

Ce qui m’importe, c’est de décider ce que je veux vraiment. Il n’est plus question que quelqu’un d’autre me dise quo faire.i

J’ai vécu comme un robot pendant huit ans, presque comme une esclave. Dans une cage dorée, certes, mais je n’étais qu’une poupée que Vladimir habillait et exhibait pour parfaire son image. Je ne pourrai plus jamais faire ça, même si ça m’effraie par moments de ne pas savoir où je vais, ni ce qui m’attend. Mais je sais désormais que je m’en sortirai. Ma situation n’a plus rien à voir avec ce que j’ai connu à l’époque où j’ai rencontré Vladimir. Je n’étais qu’une gamine de dix-neuf ans et j’étais gravement malade. Aujourd’hui, j’ai vingt-sept ans, et je pense que je vais parvenir à gérer ma vie !

Aujourd’hui, les maisons de couture les plus anciennes fermaient les unes après les autres, les collections des jeunes stylistes qui y officiaient n’étant plus adaptées aux femmes d’âge mûr en mesure de s’offrir leurs créations. Quant aux jeunes, elles n’avaient pas les moyens nécessaires… sauf si un homme très riche était à leur bras. Des hommes beaucoup plus âgés qu’elles, qui les exhibaient comme des trophées, des symboles de leur fortune, de leur pouvoir, de leur virilité et de leur réussite sociale. La haute couture était devenue une parodie d’elle-même : seule une poignée de princesses arabes et les maîtresses des hommes d’affaires russes pouvaient se permettre de commander de tels vêtements.
Lors du défilé des mannequins Dior sur le podium, Vladimir notait ses modèles préférés. Il choisissait toujours pour Natasha les tenues et les robes les plus chères. Comme ses voitures et ses yachts, les vêtements et les bijoux que portait sa compagne étaient les signes extérieurs de son immense richesse. Lorsqu’ils sortaient tous les deux, Vladimir préférait toujours la voir habillée avec sophistication. Quand elle entrait quelque part, il voulait que toutes les têtes se tournent. Même à la maison, il aimait la voir en robe du soir au dîner. « Les jeans, c’est pour les paysans », disait-il, alors que lui-même en portait souvent.

Elle était enchantée par son cours sur l’histoire de l’art du XXe siècle qui avait débuté cette semaine. Elle allait chaque jour de mieux en mieux. Enfin, elle se sentait vivre ! Elle avait encore honte de son mode de vie passé – avec le recul, elle avait réalisé que cela revenait peu ou prou à se prostituer. Il lui faudrait du temps pour apprendre à se pardonner, même si elle savait bien au fond d’elle-même qu’elle n’aurait jamais pu sortir de Moscou sans Vladimir et qu’elle serait peut-être morte de maladie ou de désespoir là-bas.

Certes, tout cela n’avait rien à voir avec ce à quoi on l’avait habituée – fini les draps Dior en satin délicat ornés d’une précieuse dentelle –, mais sa nouvelle vie était ainsi et c’était pour le mieux !

Bien sûr, elle avait cru qu’ils s’aimaient, d’une certaine manière, et qu’ils avaient besoin l’un de l’autre, mais elle s’était trompée : il ne l’aimait pas, elle n’avait été pour lui qu’une possession parmi d’autres. Quant à elle, peut-être finalement que ce qu’elle avait ressenti pour lui n’était pas de l’amour, mais seulement de la gratitude et du respect.

Les vols d’œuvres d’art recèlent quantité de mystères. Parfois, les coupables les conservent juste pour le plaisir de les posséder. Dans d’autres cas, les œuvres sont détruites ou disparaissent à l’étranger. Tout dépend de la raison pour laquelle elles ont été volées.

Non, jamais elle n’imaginerait qu’il ait pu commettre un acte aussi vil en représailles. C’était pourtant ce qu’il avait fait : personne n’avait le droit de lui dire que le bien qu’il convoitait n’était pas à vendre. Qu’il ne pourrait jamais l’acquérir. Personne ! Il était temps de donner une bonne leçon aux Luca. Il n’avait pas encore décidé quoi faire des tableaux. Mais il aimait les savoir en sa possession. Quel extraordinaire sentiment de puissance !

Luca a peint un portrait d’elle, et il le lui a offert. Or les hommes comme Stanislas finissent toujours par tout savoir. Et puis ils frappent. Ils n’apprécient pas qu’on les trahisse. Car pour eux, ce sont des trahisons. Ils ont des règles très simplistes à ce sujet. Cette fille risque d’avoir de gros problèmes.