Citations sur La montagne en sucre (25)
Ton présent te semblait alors cantonné à l’intervalle entre deux pulsations cardiaques et, ainsi allongée dans le noir, tu te prenais immanquablement à penser au passé, parce que c’était plus fort que toi, parce que le présent était moins chargé de sens que le passé ou l’avenir, parce que le passé était le temps que tu connaissais bien, en image comme en idée, et qu’il recelait ton avenir.
Je vous croyais grand et fort et gentil, et je m’aperçois maintenant que votre force ne vous sert qu’à frapper des gens qui vous demandent grâce. Si vous aviez montré un peu de charité, un tout petit peu de pitié…
Si ce n’était que de moi, je vous marierais sans barguigner. Seulement, je ne suis pas certain que ce soit la chose à faire pour Elsa. Tu es comme l’oiseau sur la branche. Vous pourriez tous deux le regretter.
Comme tout ce qui est ravissant, reprit-il, c’est dangereux. Ici, il y a un an, un jeune garçon s’est noyé dans un silo de linette. Il est tombé dedans et s’est trouvé aspiré vers le fond avant même qu’on ait pu esquisser un geste. Pour le sortir de là il a fallu vider tout le silo – il se frotta le poignet du plat de sa blanche main. Un gentil petit gars, en plus. Le genre à qui arrive ce type d’accident. Un sale gamin, un petit dur, ne sera pas capable de goûter ce contact ; jamais il ne tombera dedans.
Apprends un métier et tu seras garé.
Ses six garçons et sa fille grandirent sans soins dans la vieille maison en bois que sa femme lui avait apportée en dot. Ils apprirent de bonne heure à éviter leur père, car le bonhomme avait une nature soupe au lait et son unique main était prompte à retourner des calottes. Il lui suffisait d’entendre un pleur, un bruit ou une chamaillerie pour devenir fou de colère. Il se plaisait à répéter à quel point les enfants étaient une fichue calamité, et surtout les siens, la pire portée de corniauds jamais mise bas.
En ce cas, allons-y. Ceux qui vous connaissent ne feront pas de gorges chaudes; les autres ne comptent pas.
Peut-être fallait-il plusieurs générations pour faire un homme, peut-être fallait-il plusieurs versions et combinaisons de la douceur et de l'endurance de sa mère, de l'immense énergie de son père et son appétit d'autre chose, d'un subtil mélange des principes masculin et féminin, d'égoïsme et d'oubli de soi, d'entêtement et de capitulation, pour façonner entièrement un homme.
... il se dit que son paternel avait poursuivi quelque chose sans trêve sur une longue route, passant sans répit d’un but à l’autre. A la toute fin, il avait dû embrasser du regard le bout de sa route et n’y rien voir, pas plus de bonne grosse montagne en sucre que de fontaines de citronnade, d’arbres à cigarettes, de ruisselets de whiskey ou de buissons chargés d’aumônes. La fin et sa terrible vacuité ; plus rien vers quoi se mouvoir : c’était le bout de la route et il n’y avait rien.
L’amour est quelque chose qui fonctionne dans les deux sens, dit Elsa d’une voix douce. Pour être aimé, il faut aimer.