La littérature c'est comme la musique : dès les premières notes, on sait si on est dedans ou dehors. Si ça colle ou pas. C'est comme cela : ce n'est pas une question de « niveau » mais d'alliage, de métal, de nature. L'étain n'est ni mieux ni moins bien que le bronze. Mais, dès le départ, on voit que c'est de l'étain, que cela ne sera jamais autre chose que cela. de même, dans un livre, dès les premiers mots, on voit où on va, on voit où on est. Bien sûr, par politesse et respect, on va jusqu'au bout du récit de l'ouvrage (car il y a bien une histoire à raconter), mais cela ne change pas l'empreinte de départ. le style est un entier, ni l'addition ni la multiplication de quelque chose. Cela ne se mélange pas.
Rien de mieux que ce recueil de « short stories » pour apprécier la plume du grand écrivain américain. En quelques traits, Steinbeck plante un décor, suggère une ambiance, montrant que le coeur de l'expression est dans le non-dit. Pas besoin d'épiloguer, de commenter : juste suggérer. Comme l'a commenté avec justesse
Max-Pol Fouchet, la nouvelle ne se résume pas chez
lui à une petite histoire (façon
Maupassant). Non, « le récit court veut être un instant parmi les instants de la vie ». le but est de capter le coeur de l'instant, car c'est là où réside la lumière de la vie. le parfum est au coeur de l'instant présent. Et sa littérature évoque cela.
Ce qu'on ressent avec Steinbeck, c'est son humanité. Comme Tolstoï ou
Stendhal, ce n'est pas un cérébral mais un sensitif : il comprend la pâte humaine. Sa noblesse
lui permet d'aborder des profils humains très différents, au-delà des notions communes du bien et du mal, car il sait d'expérience (on sent que le type a vécu) que les jugements par définition sont caduques.
Ancrée au sol, réaliste, pragmatique, concrète, sa prose est délicate, fine, subtile. À la fois poétiques et précises, ses évocations de la nature font penser au grand
Giono. J'aime la sobriété de Steinbeck, la magnanimité de sa pudeur, la dignité de sa retenue. L'immense qualité de l'auteur (qualité rare chez écrivains) est que son talent ne se voit pas. L'homme est viscéralement humble, il ne joue pas au grand écrivain. Il ne joue pas tout court. C'est une leçon d'humanité.